Le sourire perdu de La Gioconda aux Chorégies d’Orange
Depuis plus de 100 ans, les Chorégies d’Orange sont le rendez-vous incontournable des mélomanes et des festivaliers heureux de retrouver les gradins du théâtre antique. Cette saison, la ville a jumelé avec Venise en invitant La Gioconda. Explications…
Jean-Louis Grinda, le pétillant directeur artistique des Chorégies d’orange, a certainement vécu des heures déplaisantes, la production phare de la saison 2022 ayant connu quelques mésaventures. Annoncée en novembre 2021, la distribution de La Gioconda, imposant opéra de Ponchielli a été en grande partie chamboulée entrainant la danse des remplacements. De l’affiche originale étêtée pour raisons personnelles, par appât d’un gain plus important ailleurs ou par la Covid toujours rampante, seuls Clémentine Margaine, Marianne Cornetti et Alexander Vinogradov ont été vus et applaudis dans les rôles principaux, ce samedi 6 août 2022, sur la majestueuse scène du théâtre antique d’Orange. Comble de malchance, un mistral taquin est venu perturber l’acoustique pourtant exceptionnelle de la salle à ciel ouvert, la plus ancienne de France.
Tremblements à Venise et sol mouvant sur la lagune
Autres victimes d’un sort qui s’acharne, l’Orchestre Philharmonique de Nice et les Chœurs des Opéra d'Avignon, de Monte-Carlo et de Toulouse ont eu beaucoup de mal à s’entendre, les uns jouant souvent sans les autres. Avec une direction bien traditionnelle, Daniele Callegari n’a pas réussi à soulever ses troupes pour braver sirocco et bora. La production pouvait malgré tout miser sur de sérieux atouts. L’action se situant à Venise, les spectateurs étaient plongés de toute évidence dans les eaux de la lagune grâce aux vidéos d’Étienne Guiol et Arnaud Pottier projetées sur le fameux mur du théâtre antique. Les splendides vues de la Sérénissime s’étalaient en grand sans jamais tomber dans le cliché. Les plus érudits auront reconnu la fresque du Tintoret de la Salle du Grand Conseil au Palais Ducal et même le pavage de la piazza San Marco avant de saluer ce remarquable souci du détail. Les vidéos-projecteurs n’ont pas résisté aux légers assauts du mistral rendant parfois ce parquet flottant et le décor mural tremblotant. L’avantage du vent est qu’il rend vivant les costumes. Le metteur en scène épaulé par Stéphanie Putégnat a eu la bonne idée d’exhumer les tenues dessinées par Jean-Pierre Capeyron qui émerveillent un public en attente de grand spectacle. Pour illustrer sa Gioconda, Jean-Louis Grinda a choisi tradition et linéarité. Les histoires d’amour improbables auraient pu être palpitantes mais le drame intime se perd dans le grand espace. Sans enjeux et peu porté par les voix, l’œuvre semble longue et l’ennui s’installe malgré l’enthousiasme des spectateurs toujours fidèles et ravis de redécouvrir un opéra pas si méconnu.
Clémentine à Orange, le soleil de la soirée
Les arias "Cielo e mar", "Suicidio!" et surtout la danse des heures ont rendu populaire le seul ouvrage connu de Ponchielli régulièrement à l’affiche. Avec ses autruches, hippopotames et crocodiles, Monsieur Disney a immortalisé le ballet rendant périlleux le passage obligé. La chorégraphie de Marc Ribaud a le mérite de faire oublier les bébêtes de dessin animé. Là encore, une tradition de bon aloi séduit gentiment malgré une exécution sans éclat, le Ballet de l'Opéra Grand Avignon ayant connu des remous covidesques quelques jours avant la représentation. La soprano Csilla Boross s’est glissée dans la peau de Gioconda elle aussi à la dernière minute. Elle ne démérite pas avec une prestation attendue malgré des aigus plafonnés dans un rôle assez lourd. Après les annulations successives de Fabio Sartori et de Francesco Meli, Stefano La Colla devait être le seul ténor disponible pour s’imposer dans Enzo Grimaldi. Les quelques faussetés participent à la déception ressentie, plus importante encore avec Claudio Sgura dans le rôle de Barnaba qui remplaçait Amartüvshin Enkhbat. Le baryton manque de noirceur et la voix d’assise pour incarner son personnage avec un timbre terne qui ne favorise pas les couleurs et la caractérisation. Les six rôles principaux de La Gioconda sont confiés à toutes les tessitures. Avec une belle présence vocale, la basse Alexander Vinogradov anime facilement ses scènes et s’illustre en faisant exister son personnage. Marianne Cornetti est trop routinière en revanche pour que l’on s’attache à La Cieca, un rôle de contralto pourtant émouvant. Avec Laura, Clémentine Margaine ajoute un rôle du répertoire italien dans lequel elle excelle, tout simplement ! A Orange ce soir, les rayons de soleil ont convergé vers la lumineuse mezzo qui a su rendre son sourire à La Gioconda. Même si l’alignement des astres n’a pas été favorable cette fois, il nous tarde de découvrir les titres de la saison 2023 avec ses étoiles !