Le destin impérial de Giulio Cesare au Théâtre des Champs-Elysées
Gâtés sont les mélomanes parisiens du Théâtre des Champs-Elysées qui peuvent en une soirée s’enorgueillir de voir les plus grandes stars lyriques à l’affiche de Giulio Cesare de Haendel. Un peu bêcheurs sont parfois certains spectateurs. Explications…
Les saisons du Théâtre des Champs-Elysées se terminent souvent par un feu d’artifice. Après un incandescent Iphigénie en Tauride de Gluck en 2019 (avec Stéphane Degout et déjà Gaëlle Arquez), Michel Franck, directeur général de la prestigieuse maison de l’avenue Montaigne, a une fois de plus enflammé son public avec l’une des plus belles affiches de la saison. La production d’un nouveau Giulio Cesare in Egitto de Haendel (programmée du 11 au 22 mai 2022) est marquée par plusieurs prises de rôle et également par les débuts en fosse de Philippe Jaroussky à la tête de l'Ensemble Artaserse. Au début de la représentation, plusieurs interrogations accompagnent les mélomanes fébriles, la principale portant souvent sur la mise en scène. Bien connu du public parisien, Damiano Michieletto sait souffler le chaud et le froid avec un travail qui ne laisse pas insensible. Mercredi 11 mai 2022, soir de première, l’incompréhension a creusé le fossé entre l’homme de théâtre et des spectateurs qui n’ont visiblement pas aimé une mise en scène pourtant aboutie.
La divine Cleopatra, reine d’Egypte et déesse des Champs-Elysées
Les images fortes s’enchainent dans un décor neutre qui, dans la première partie, s’ouvre sur un ailleurs inquiétant. Sur scène, l’on découvre un Giulio Cesare empêché par des liens rouges comme autant d’obligations qui entravent ses mouvements. Trois personnages lugubres apparaissent alors que l’on devine être les Parques, maîtresses de la destinée humaine. La métaphore sera filée tout au long du spectacle avec l’évocation des Vanités accompagnant le personnage de Cleopatra, la figure de la mort pour Cornelia et celle écrasante du père pour Sesto. Tout en respectant le déroulé de l’histoire, la vision esthétisante et symbolique très réussie de Damiano Michieletto se double d’une réflexion sur la vie, la mort et le destin. Pour dessiner la psychologie de leur personnage, les chanteurs doivent en revanche compter sur leurs talents d’acteurs. Certains défendent leur caractère mieux que d’autres comme l’exceptionnelle Sabine Devieilhe qui domine une distribution pourtant déjà de très haut vol. Cleopatra espiègle, sensuelle et bouleversante, la soprano ouvre grand l’éventail de son jeu avec des moyens vocaux époustouflants. Dans une tessiture plutôt centrale (le rôle a été créé par Francesca Cuzzoni), elle survole les difficultés en ornant son très beau chant de virtuosités jamais démonstratives. Un messa di voce sur un suraigu laisse bouche bée avant un "Se pietà di me non senti" sur un fil pianississimo tout simplement d’anthologie.
Gloire aux contreténors même quand ils ne chantent pas
Sans autant d’éclats mais avec des vocalises impeccables et un timbre enveloppant, le chant fluide de Gaëlle Arquez séduit. La mezzo interprète avec une grande justesse et sans trop de débordements les tourments de Giulio Cesare. Autre star à l’affiche, Franco Fagioli s’est illustré dans le rôle-titre et dans celui de Tolomeo avant d’aborder ici Sesto. Même si le timbre semble maintenant accuser une légère usure, les aigus surhumains et la vocalise à la vitesse d’une mitraillette impressionnent au-delà de l’imaginable. L’incarnation en jeune homme est cependant moins crédible que celle de Carlo Vistoli, virulent Tolomeo et élégant chanteur. Il poitrine cependant plus que son collègue Paul-Antoine Bénos-Djian, Nireno de luxe et troisième contreténor de la distribution sur scène, le quatrième étant dans la fosse. Philippe Jaroussky dirige depuis quelques années déjà les concerts de l'Ensemble Artaserse. Il fait de brillants débuts à l’opéra dans une partition exigeante qu’il maîtrise, apportant dynamisme, couleurs et contrastes. Le chef reste toujours très attentif au plateau vocal accompagnant avec sensibilité Lucile Richardot, poignante Cornelia qui semble parfois en retrait ce soir de première. Francesco Salvadori (remarquable Achilla) et Adrien Fournaison (Curio) complètent avec compétence l’incroyable distribution qui tient ses promesses. Il serait dommage de passer à côté d’un tel luxe vocal dans une mise en scène profonde qui ne demande qu’à être découverte.