Le Trio Sōra donne sa voix au Philharmonique de Radio France
Alors qu’il leur a été difficile de se rendre à l’Auditorium de Radio France, les mélomanes n’ont pas assisté au concert qu’ils attendaient. Les bonnes surprises se rencontrant souvent au détour du chemin, ils n’ont pas été déçus. Explications…
Comme un ciel noir, les difficultés se sont accumulées sur Paris ce vendredi 18 février 2022, jour de grève des transports. A l’auditorium de Radio France, les mélomanes avait pourtant rendez-vous avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Mikko Franck dans un programme paritaire et lumineux. Une pièce de Cécile Chaminade et une création mondiale de la compositrice canadienne Kelly-Marie Murphy devaient alterner avec deux chefs-d’œuvre de Ravel, la Valse et Shéhérazade interprétée par Marianne Crebassa. A quelques heures du concert, la foudre s’est abattue sur les organisateurs avec l’annulation de la mezzo, indisposée. A défaut de chanteuse pour incarner les vers de Tristan Klingsor, Shéhérazade est restée en Asie, vieux pays merveilleux des contes de nourrice… Point de tempête sans chamboulement, une pièce de Mel Bonis et une de Lili Boulanger ont remplacé le cycle de mélodies imposant sans le vouloir un thème à la soirée. Avec le Ravel écourté, quatre compositrices se sont retrouvées à l’affiche nouvelle, inattendue célébration des femmes dans la musique. Et pour donner de la voix, les artistes du Trio Sōra ont apporté le rayon de soleil qui est venu chasser les nuages.
La compositrice au talent d’homme !
Comme pour bon nombre de ses consœurs compositrices, il est désolant que le nom de Cécile Chaminade soit si négligé dans les salles de concert. Outil d’un service public nécessaire et indispensable, l’Orchestre Philharmonique de Radio France joue son rôle en offrant en ouverture de soirée la suite du ballet Callirhoë. A sa création, la pièce a connu un succès considérable tout à fait compréhensible lorsque l’on découvre la réduction d’une vingtaine de minutes bien construite avec un final décoiffant. Le programme de salle nous apprend que le compositeur et professeur Benjamin Godard, trop occupé à la création d’une nouvelle pièce, a choisi son élève la plus douée pour écrire la musique du ballet qu’il devait composer. Pour faire valoir sa remplaçante, il a déclaré : « Elle a le talent d’un homme » ! Autre temps, autres moeurs, il n’est plus besoin de porter rouflaquettes et favoris pour qu’une grande institution vous passe la commande d’une œuvre. Grâce à Radio France, le Borletti Buitoni Trust et l'association Pro Quartet-CEMC, "When I Too Long Have Looked Upon You Face" de Kelly-Marie Murphy a pu être créé devant un public peu nombreux hélas ! venu comme il a pu… Ce triple concerto diffusé en direct sur les antennes de France Musique aura sans nul doute séduit au-delà des ondes.
Les reines qui sauvent le monde
L’écriture contemporaine mélange dissonances et tonalité sans heurter les mélomanes. Déroutés par un manque de structure apparente, ils ont salué dans leurs applaudissements l’imagination et la sensibilité d’une écriture spontanée qui gagne progressivement en émotion. Kelly-Marie Murphy se dit inspirée par Stravinsky que l’on retrouve ici (surtout dans la dernière partie) avec peut-être une pointe boulézienne pour les déflagrations mélangée à, pourquoi pas, du John Williams pour le grand show. La compositrice qui possède un univers sonore assez étendu utilise un effectif orchestral fourni et parfois spectaculaire qu’elle fait dialoguer avec l’intimité du trio. Les instrumentistes du Sōra sont parfaitement mises en valeur individuellement et en groupe. Elles ont sans nul doute participé au succès de cette création mondiale sincèrement appréciée. Après l’entracte, les spectateurs ont pu admirer la très belle sensibilité du trio dans Soir et Matin de Mel Bonis, autre pièce que les mélomanes ont hâte d’entendre à nouveau, et pourquoi pas au disque, enregistré par les mêmes brillantes artistes. D’un matin de printemps de Lili Boulanger pourrait être le pendant qui apporte la fougue et une belle acuité interprétative, qualités déjà remarquées dans le CD Beethoven qui les a révélées au monde. L’Orchestre Philharmonique de Radio France en belle forme est venu conclure le concert avec Maurice Ravel et La Valse, fer de lance des ensembles symphoniques. Mikko Franck maîtrise les déferlements attendus et malgré quelques forte un peu secs, il dirige avec enthousiasme et personnalité. Ce feu d’artifice orchestral est venu couronner le quatuor de compositrices et le Trio Sōra, véritables reines de la soirée.