Les fantômes d’Hoffmann à Saint-Pierre de la Martinique
Le mélomane peut trouver son bonheur partout et parfois même dans des lieux en ruine ! Grâce au Festival Filao, le Théâtre de Saint-Pierre de la Martinique revit avec des représentations d’opéra enthousiasmantes. Un grand moment d’émotion ! Explications…
Le pari était des plus audacieux et pourtant, ils l’ont fait ! Le célèbre contre-ténor Fabrice di Falco et Julien Leleu (président de l'association Les Contres Courants), épaulés par Richard Martet d’Opéra Magazine ont ressuscité le Théâtre de la Ville de Saint-Pierre de la Martinique pour offrir aux spectateurs du Festival Filao trois représentations des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. Depuis la toute première édition du Concours Voix des Outre-mer en 2018, la ville d'Art et d'Histoire accueille le trio qui y dépose les valises du Festival en décembre depuis maintenant quatre années consécutives malgré les difficultés. Du 15 au 18 décembre 2022, presque 1000 spectateurs ont assisté aux différents événements comme les conférences toujours de grande qualité. Pour tous les visiteurs de la Martinique, le détour par Saint-Pierre est une étape culturelle obligée. L’ancienne capitale de l’île ayant été entièrement détruite par la nuée ardente de la montagne Pelée le 8 mai 1902, les ruines des vestiges sont à la fois un témoignage poignant et également une source d’inspiration. En découvrant ce qui reste du Théâtre qui fut la fierté des Martiniquais, chacun imagine aisément les habitudes bourgeoises d’un XIXème siècle finissant et rêve d’assister à une soirée d’opéra.
Le trio magique des Contes d’Hoffmann
120 ans plus tard, les notes résonnent de nouveau devant le parvis où a été installée une scène agrémentée par quelques tonneaux de rhum martiniquais, naturellement, qui trouve là son décor naturel. Dans la verdure, l’escalier montant de part et d’autre d’une fontaine offre un cadre magique à la taverne bavaroise légèrement réimaginée. Gentiment aviné par de généreux ti’ punchs, Hoffmann est maintenant un marin en escale à Saint-Pierre. Comme nous l’apprend Richard Martet, il est vraiment fait allusion au punch dans le livret de l’opéra d’Offenbach. Le rédacteur en chef d’Opéra Magazine est l’un des deux conteurs de la soirée, le plus sérieux qui captive avec son érudition en partage. Les anecdotes sur la création compliquée des Contes d’Hoffmann réjouissent les mélomanes les plus exigeants tout en restant accessibles à tous. Son acolyte conteur n’est autre que Fabrice di Falco, l’enfant du pays adoré qui interpelle les spectateurs en créole. Même si l’on ne comprend pas tous les mots, il est facile de rire aux facéties ajoutées à la narration qui trouvent leur public. Un charme certain irradie du duo comique et sérieux dans la mise en espace réalisée par Julien Leleu. Le jeune homme fait ici ses premiers pas avec une rare intelligence. Il utilise tous les espaces qu’il redessine avec les effets de lumière pour installer des mouvements fluides. L’apparition de la mère simplement drapée de blanc rend l’acte d’Antonia réellement impressionnant comme la scène du docteur Miracle très bien jouée.
Les talentueuses Voix des Outre-mer s’expriment
Le travail réalisé en très peu de temps par une distribution hétérogène est remarquable. Même s’ils n’ont pas tous le même niveau, la prestation des artistes (issus du Concours Voix des Outre-mer à l’exception de Raphaël Jardin et de Mathieu Gourlet) est à saluer avec même des éloges pour certains comme le pianiste Edward Liddall, excellent accompagnateur. Axelle Saint Cirel (en lice pour la 5ème édition du concours) campe un Nicklausse espiègle plus vrai que nature avec son mezzo timbré qui ne trouve aucun obstacle pour s’épanouir même dans un air qui n’appartient pas à son répertoire. La partition des Contes d’Hoffmann proposée à Saint-Pierre est assez exceptionnelle puisqu’ont été interprétées différentes versions d’un même air. Ainsi trois Dapertutto se sont succédé sur scène. Les quelques fragilités de Carl Mam Lam Fook ne l’ont pas empêché d’exister face à Mathieu Gourlet (jeune basse très prometteur) plus aguerri et Joé Bertili, profondément investi vocalement et dramatiquement. L’Antonia de Candice Albardier en méforme n’a hélas pas totalement convaincu, le rôle exigeant des moyens que la jeune artiste acquiert encore. Giulietta a été incarnée avec beaucoup de grâce par Jennifer Pellagaud avec une diction perfectible pour séduire plus encore. La toute jeune Amélie Leduc, acrobatique Olympia, construit son rôle à suraigus qu’elle affronte avec un certain panache. Dans des rôles secondaires mais très bien mis en valeur, les personnalités de Coretta Jean Alexis Moueza (La Mère) et d’Eric Laigle (Frantz) ont pu s’affirmer. Avec déjà plus de métier et des moyens évidents, Raphaël Jardin est un solide Hoffmann à qui il ne manque qu’une pointe de sensualité dans les duos pour l’emporter complètement. L’on reste admiratif du professionnalisme de la troupe qui a livré trois représentations des Contes d’Hoffmann où l’émotion est passée plus d’une fois. Après cette enthousiasmante réussite, les organisateurs annoncent une très prometteuse et envoûtante Carmen de Bizet. En décembre 2023, la cinquième édition du Festival Filao et ses événements gratuits seront un nouveau cadeau de Fabrice di Falco et Julien Leleu à la Martinique et ses amoureux.