Consécration et encouragement, Yo-Yo Ma reçoit le Prix Birgit Nilsson à Stockholm
Evénement unique dans la vie musicale, le violoncelliste Yo-Yo Ma a reçu le prix Birgit Nilsson des mains du roi de Suède le mercredi 18 octobre 2022. La cérémonie s’est déroulée sur la scène du Konserthuset de Stockholm. Reportage…
Evénement unique dans la vie musicale, le violoncelliste Yo-Yo Ma, artiste incomparable, a reçu le prix Birgit Nilsson des mains du roi de Suède ce mercredi 18 octobre 2022. La cérémonie s’est déroulée sur la scène du Konserthuset de Stockholm (où sont également attribués les Prix Nobel), agrémentée de nombreux passages musicaux dirigés par Patrik Ringborg, à la tête du Kungliga Filharmonikerna. Devant un parterre élégant, Susanne Rydén la présidente de la Birgit Nilsson Stiftelsen (la Fondation Birgit Nilsson) a animé la soirée en compagnie de Stefan Forsberg, le directeur exécutif et artistique de l’orchestre. Tout premier instrumentiste lauréat, Yo-Yo Ma est seulement le cinquième récipiendaire. Deux artistes lyriques avant lui ont reçu le prix (Plácido Domingo et Nina Stemme), un chef d’orchestre (Riccardo Muti) et un orchestre (le Wiener Philharmoniker).
Le ruissellement façon Birgit Nilsson
Grâce aux nombreuses actions de sa fondation, la voix incomparable de Birgit Nilsson résonne encore. De son vivant, la grande soprano suédoise a souhaité créer un prix pour « rendre hommage aux artistes et institutions en activité qui ont apporté une contribution majeure à la pérennité de leur art ». Décerné tous les 3 ans environ, il s’agrémente d’une somme conséquente d'un million de dollars pour encourager une démarche altruiste, le plus souvent à destination des jeunes artistes. C’est parce qu’elle a rencontré des difficultés en début de carrière que Birgit Nilsson a d’abord eu l’idée d’une bourse d'études à destination des jeunes chanteurs talentueux de Suède (le Stipendium créé en 1969 et toujours d’actualité). Vers la fin de sa longue et incroyable vie, elle a imaginé ce nouveau prix, international cette fois, pour honorer des artistes déjà établis et célébrer leur humanisme. C'est elle-même qui a placé le nom du premier lauréat dans une enveloppe scellée qui n'a été ouverte que trois ans après sa mort. En 2009, Plácido Domingo est le premier à recevoir la récompense qui lui a permis de créer un « prix spécial Birgit Nilsson pour le meilleur chanteur wagnérien » dans le cadre du concours Operalia, devenu depuis la plus grande compétition internationale de chant.
Grand artiste et homme avant tout, Yo-Yo Ma dans le top 5 !
Comme lauréat du cinquième prix décerné, le choix d’un artiste aussi incomparable que Yo-Yo Ma semble une évidence. Le violoncelliste multiculturel qui est né à Paris de parents chinois commence l’apprentissage de son instrument en France dès l’âge de quatre ans avant de s’envoler pour les Etats-Unis. Il s’installe à New York et, déjà repéré par Pablo Casals, il donne un premier concert caritatif à 7 ans devant le président Kennedy. La vie de Ma est parsemée de grands moments et pourtant, malgré un destin hors du commun, l’artiste auréolé qui aurait pu se perdre en vanité est resté un homme humble et infiniment touchant. Il suffit de le voir entrer sur une scène, saluant les membres de l’orchestre, embrassant le public les bras largement ouverts pour comprendre qu’il est un homme de partage. Tous les musiciens savent qu’il joue avec eux, chaque spectateur sent qu’il joue pour lui. Croisé à bord de l’avion qui nous ramenait vers Paris, Yo-Yo Ma a pris le temps de nous serrer chaleureusement la main pour expliquer en quelques mots et partager à nouveau l’émotion qu’il avait ressenti la veille. Dans son discours de remerciement, il a rendu hommage comme il se doit à Birgit Nilsson, à la Suède (en évoquant Dag Hammarskjöld, Ingmar Bergman et Greta Thunberg) puis à son épouse : « Le chemin qui m'a conduit ici n'est pas un chemin que j'aurais pu parcourir seul ». Il a rappelé fort à propos que « nous sommes liés par notre humanité, par une responsabilité les uns envers les autres et envers l'avenir » avant de définir la musique par sa « capacité de nous transporter à travers le temps, l'espace et l'énergie et de créer du sens ». « La musique est une entreprise humaine, inventée par l’Homme pour exprimer nos aspirations » résume assez bien les différentes actions entreprises par l’artiste. Après le Silk Road Project où Yo-Yo Ma a emprunté les routes de la soie pour rapprocher les cultures en musique, il a entamé un voyage de deux ans pour interpréter les 36 morceaux des suites pour violoncelle seul de Bach dans 36 lieux différents, à la rencontre des jeunes artistes du monde entier.
“Music is a sort of magic” (Yo-Yo Ma, le 18 octobre 2022)
Le concert qui a accompagné la remise de prix a fait la part belle à la jeune génération. Après l’impressionnant hymne national entonné devant le roi et de la reine de Suède, près d’une heure de musique a été entendue dans la Konserthuset qui s’était parée d’or pour l’occasion. Hommage a été d’abord rendu à Birgit Nilsson avec la diffusion d’un extrait de Tannhaüser où la voix de l’immense wagnérienne subjugue encore. Après les mots de bienvenue de la charmante Susanne Rydén et de Stefan Forsberg, Patrik Ringborg a dirigé un extrait de l’Acte II de Tannhäuser "Freudig begrüssen", l’entrée solennelle des invités et des nobles produisant un effet de miroir amusant. Les chœurs de l’Opéra Royal de Suède et de la Radio suédoise dirigés par Kaspars Putnins se sont à nouveau distingués dans Der Abend, un Lied a cappella de Richard Strauss. Malgré les qualités certaines du Kungliga Filharmonikerna et du chef qui ont rempli leur rôle à la perfection (en interprétant notamment la Rhapsodie suédoise No. 1 Midsommarvaka d’Hugo Alfvén), les jeunes artistes réunis sur scène ont suscité plus d’intérêt. Ancienne élève du Collège royal de musique de Stockholm, la violoncelliste Amalie Stalheim a créé la sensation en interprétant un extrait du Concerto d’Anders Hillborg. Composée en 2020, l’œuvre explose en tous sens et expose avec brio l’instrument grâce à une écriture palpitante. Le choix du compositeur contemporain suédois, présent dans la salle, est judicieux. Dans une soirée où l’invité d’honneur est l’un des plus grands violoncellistes du monde, entendre de l’inattendu ajoute un soupçon de piment qui surprend très agréablement. La voix était également à l’honneur grâce au sublime trio final du Rosenkavalier de Richard Strauss interprété par Maria Bengtsson (la Feldmarschallin après une belle Contessa des Nozze à Paris), Emma Sventelius (Octavian à suivre de près) et Johanna Wallroth (jeune Sophie), sans oublier la réplique de Lars Johansson Brissman (Herr von Faninal). Les artistes suédoises ont conclu avec grâce ce moment de pur enchantement apportant une démonstration par l’image et par le son aux propos de Yo-Yo Ma : « La musique est une sorte de magie ».