Retour de Noces au Palais Garnier
Le Nozze di Figaro de Mozart, le Palais Garnier et les mélomanes forment un idéal ménage à trois depuis bien des lustres. Aussi, lorsque l’Opéra national de Paris annonce une nouvelle mise en scène, la cérémonie sera-t-elle réussie ? Réponse...
L’histoire d’amour qui dure depuis bien plus de 50 ans entre Le nozze di Figaro de Mozart et le Palais Garnier de Paris est couverte d’or. La production légendaire de Giorgio Strehler de 1973 a accouché de nombreuses reprises et même si quelques infidélités embastillées sont venues perturber les mélomanes, l’œuvre a été servie par les plus grands comtes et comtesses et d’impertinents Cherubino. Programmer de nouvelles Noces dans le temple de l’Opéra parisien expose à la comparaison ou du moins, à une réelle attente du public qui de Glyndebourne à Prague ou d’Aix à Vienne se presse toujours nombreux comme ce vendredi 21 janvier 2022, soir de première. L’affiche internationale possède de nombreux attraits à commencer par Gustavo Dudamel à la baguette. Après un concert d’ouverture et d’éclatantes représentations de Turandot de Puccini, le directeur de l’Opéra national de Paris est le nouveau fiancé de Paris qui s’aventure sur le répertoire jadis défendu par Philippe Jordan, ex-directeur en titre.
Un empereur sur le domaine du comte
La comparaison entre ces deux sensibilités n’est pas à faire même s’il est juste de rappeler que Mozart est un compositeur que l’on associe moins au grand chef symphoniste vénézuélien. C’est pourtant avec Don Giovanni qu’il a fait ses débuts dans la prestigieuse fosse de la Scala en 2006. Après une ouverture brouillonne, La folle journée bouscule les habitudes de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris doucement chahuté par les ruptures de ton du chef. Les moments doux tout en caresses contrastent avec une brusquerie parfois réclamée par le théâtre. A une exception notable, l’équilibre entre plateau et fosse est respecté, Dudamel accompagnant avec bienveillance une distribution vocale assez homogène. Alors qu’elle campe une charmante Susanna, la petite voix d’Anna El-Khashem passe difficilement l’orchestre et malgré de réelles qualités et un timbre délicat, elle reste inaudible tout au long de la première partie. Souffrante, Ying Fang annoncée dans le rôle a été remplacée. Comme dans tous les théâtres du monde, les affiches connaissent des bouleversements, heureux parfois... La venue à la dernière minute de Luca Pisaroni est une belle aubaine pour applaudir son Figaro rodé (« Aprite un po' quegli occhi » rapide mais déclamé avec talent) même si les aigus plafonnent souvent. L’abattage ne manque pas non plus aux nombreux seconds rôles distribués avec science (Marc Labonnette, Michael Colvin et Christophe Mortagne). James Creswell possède la même forte présence que Dorothea Röschmann, une Contessa Almaviva hier et Marcellina aujourd’hui à qui l’on a coupé l’air « Il capro e la capretta » malgré tout. Grâce à un timbre velouté, Maria Bengtsson est assurément une comtesse qui ne saurait cependant faire oublier les leçons de chant parfois prodiguées sous le plafond de Chagall par ses illustres devancières. Peter Mattei est tout simplement impérial dans le rôle du Conte di Almaviva. Avec des facilités vocales et une présence scénique si évidente, sa prestation pourrait impressionner mais elle semble si naturelle qu’on l’admire, bouche bée.
Double jeu, dénonciation et divorce !
Les nombreux fans de Lea Desandre ne seront pas déçus par ses débuts à l’Opéra national de Paris. Les deux arias de Cherubino chantés à l’avant-scène récoltent des applaudissements mérités, la mezzo jouant de nuances et de raffinement dans ces tubes de la musique classique. Casquette à l’envers et yeux rivés sur son téléphone portable, elle forme un couple assorti à Barbarina chantée par Kseniia Proshina, une jeune artiste à suivre de près. On l’aura compris, la mise en scène de Netia Jones (également vidéaste et scénographe) fait le pari de la modernité en respectant toutefois le livret éprouvé de Da Ponte. La femme de théâtre célébrée au Royaume-Uni livre une première production à Paris plutôt réussie où l’on retrouve quelques marqueurs de la nouvelle génération d’artistes de la scène. Les projections vidéo qui traduisent tantôt les pensées ou présentent des extraits du texte de Beaumarchais offrent plusieurs degrés de lecture souvent appréciables. Les scènes attendues sont abordées de front avec un sens du tempo et une belle énergie qui se rodera sans nul doute au fur et à mesure des représentations. Même si la dernière scène manque de poésie, Netia Jones multiplie les points de vue avec intelligence en immergeant ses comédiens dans un théâtre dans le théâtre. Passant de l’intimité d’une loge à la profondeur du plateau de Garnier ouvert jusqu’au salon de la danse, les espaces sont utilisés astucieusement grâce à un décor habillé par les projections. Alors qu’il aurait été facile de grossir le trait, la metteuse en scène délivre un message féministe avec subtilité et délicatesse. L’air de Barbarina « l'ho perduta me meschina » rendu explicite est déchirant. La charge n’est jamais lourde mais l’on comprend que la comtesse, à la toute fin, rend à Almaviva non seulement la « spilla » accusatrice mais également son alliance. Avant que la lassitude ne gagne les spectateurs volages et qu’un nouveau divorce soit prononcé, ces nouvelles Noces de Figaro de Garnier (à découvrir jusqu’au 18 févier 2022) sont appelées à durer le temps de quelques reprises.