Sortie d’enfer Salle Favart avec Jordi Savall
Les mélomanes qui peuvent assister à une représentation de L’Orfeo dirigée par Jordi Savall à l’Opéra Comique se sentent privilégiés à plus d’un titre car tout n’est pas encore gagné ! Les salles sortent tout juste de leur saison en enfer. Explications...
Lorsqu’en 2017 après 20 mois de travaux, la salle Favart a été rendue aux mélomanes, Jordi Savall était là pour diriger Alcione de Marin Marais. Ce 4 juin 2021, alors que l’Opéra Comique accueille de nouveau ses spectateurs après une longue fermeture sanitaire imposée, le grand chef catalan est de nouveau en tête d’affiche, tel un Moïse montrant la Terre promise des nouvelles productions. Avec L’Orfeo de Monteverdi mis en scène par la toute jeune Pauline Bayle (qui fait ses premiers pas dans le domaine lyrique), il accompagne un retour aux sources de l’opéra. Faut-il encore présenter le premier chef-d’œuvre de l’art lyrique ? Agnès Terrier (conseillère artistique et dramaturge de l’Opéra Comique) le fait avec une grande clarté et une érudition admirable dans un programme de salle qui est un indispensable. L’on peut souligner toutefois que l’ouvrage est souvent donné en concert, plus rarement en version scénique. Après quelques productions confiées à des chorégraphes, le choix de Comique s’est porté sur une mise en place plus traditionnelle.
Maître Savall au Concert des Nations
L’absence de décor laisse l’espace libre pour un déroulé d’images souvent très belles comme dans le prélude. Dans des costumes couleur pastel, les membres du chœur alignés s’avancent lentement vers le public qui occupe encore un siège sur trois. Un cercle de pivoines rouges et une pluie de cendre invitent à la poésie mais à force d’épure, le théâtre vient à manquer. Les interprètes sourient beaucoup mais à quelques exceptions notables, ils incarnent rarement. Il revient donc à l’orchestre et aux voix de faire passer l’émotion. Multipliant les climats, le célèbre chœur La Capella Reial de Catalunya accomplit un remarquable travail de nuances. A la tête de son orchestre Le Concert des Nations, Jordi Savall est le héros de la soirée. Avec une partition qui laisse des libertés d’instrumentation, L’Orfeo est un étalon pour tous les grands chefs baroques. Alors que Savall reste dans les mémoires comme le gambiste le plus réputé au monde, l’on s’étonnerait presque de découvrir sa vision de Monteverdi avant tout symphoniste. La basse continue accompagne de superbes récitatifs mais le foisonnement des sonorités domine la soirée. La direction du grand chef qui a déjà dirigé l’œuvre plusieurs fois est assez fascinante.
Orfeo qui rit, Orfeo qui pleure
Dans le rôle-titre, Marc Mauillon retrouve la scène de la Salle Favart où il a connu de nombreux succès. Il est heureux d’entendre ce madrigaliste hors pair dans un rôle qu’il a fait sien. La diction très stylée et le timbre marqué conviennent parfaitement au héros de Monteverdi. Le comédien (et danseur ici) qui nous a souvent convaincu dans ses emportements est attachant même s’il a trop peu à jouer dans cette mise en scène. En quelques phrases, malgré ou grâce à une voix désormais fatiguée, Sara Mingardo impose sa Messaggera et réserve l’un des plus beaux moments d’émotion de la soirée. Les nombreux rôles sont distribués à des chanteurs parfois fragiles mais vocalement appréciables. Luciana Mancini chante joliment Musica et Euridice tandis que Marianne Beate Kielland (Speranza/Proserpina), malgré une présence scénique indéniable, semblait avoir du mal à trouver ses marques ce soir de première. Il convient de citer le duo des bergers (Victor Sordo et Gabriel Diaz), Salvo Vitale (Caronte/Plutone) ou encore Furio Zanasi dans des apparitions marquantes.
Après cette saison qui s’est traduite par des mois de confinement et d’attente, l’Opéra Comique nous offre une reprise en douceur avec un Orfeo sorti des enfers, comme ses spectateurs.