Miraculé, un Roméo et Juliette d’anthologie à l’Opéra Comique
Un chef-d’oeuvre de l’opéra et des chanteurs-vedettes, voilà le projet d’un succès attendu à l’Opéra Comique de Paris en décembre 2021. Mais la mauvaise fée Covid qui s’est penchée sur le berceau a-t-elle réussi à gâcher la fête ? Réponse...
Les mélomanes de la Ville Lumière attendaient l’événement avec impatience. Alors qu’on ne l’avait pas vu à l’affiche de l’Opéra national de Paris depuis 1985, le plus italien des opéras français, Roméo et Juliette de Gounod était enfin programmé dans une salle parisienne. L’Opéra Comique accueillait une production scénique du grand chef d’œuvre avec une distribution proche de l’idéal réunissant Julie Fuchs et Jean-François Borras en amants de Vérone. Patatras ! A 8h20, ce 13 décembre 2021, jour de la première, la nouvelle tombait : « le ténor Jean-François Borras a été testé positif au Covid, et sera remplacé par Pene Pati » suivie par un nouveau communiqué à 13h46 : « Nous apprenons que Julie Fuchs a été testée positive au Covid ». A quelques heures du lever de rideau, l’opéra étêté perdait son Roméo et sa Juliette. L’histoire du spectacle vivant se nourrit de ces aléas qui donnent bien des sueurs froides aux directeurs de tous les théâtres du monde et à leurs équipes. Fraîchement nommé à la tête de Comique, Louis Langrée a donc inauguré son mandat avec un sauvetage réussi puisque la représentation (et les suivantes jusqu’au 21 décembre) a bien eu lieu.
West Covid Side Story à Paris
Dans une annonce faite au public teintée d’humour, il a donné le ton : « pas évident de jouer le coup de foudre quand on s’est rencontré il y a six semaines. Là, ils se sont rencontrés cet après-midi ! ». Même s’ils se sont glissés dans leurs costumes peu de temps avant d’entrer en scène, Pene Pati et Perrine Madoeuf jouent avec un naturel qui ne trahit jamais l’impréparation. Pour ses héros, Eric Ruf prévoyait sans doute une mise en scène plus détaillée mais son choix de respecter simplement le livret permet la fluidité des mouvements et offre une lisibilité qui sert l’émotion. La scène du balcon vertigineuse (au sens littéral) est assez marquante. Ruf signe également la conception des jolis décors pratiques et romantiquement délabrés. La modernité des costumes de Christian Lacroix ne contredit pas le propos même si le masque, accessoire incontournable, s’est imposé sur le plateau. Les scènes de groupe sont bien réglées avec des explosions de violence soudaines qui rappellent West Side Story. A la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, Laurent Campellone ne dirige pas du Bernstein et pourtant il semble plus inspiré par l’éclat que par l’intime. Le sublime duo de l’alouette pris trop rapidement touche moins que les scènes où brillent les solistes. Outre un chœur accentus/Opéra de Rouen Normandie impeccable (diction, présence, timbre), il dispose d’une distribution francophone de très haute tenue.
Ô Roméo ! Roméo ! pourquoi es-tu Roméo ?
Adèle Charvet en Stéphano et Philippe-Nicolas Martin (Mercutio) habitent leur rôle avec les moyens vocaux adéquats où l’on aime chez elle, une vocalise précise et chez lui, une jolie ligne de chant même si la diction gagnerait à être encore plus parfaite comme celle de Patrick Bolleire, impressionnant Frère Laurent. Masqué puis démasqué, Jérôme Boutillier souffle le chaud et le froid. Avec un visage privé d’expression dans la première partie du spectacle, il peine à projeter sa voix que l’on retrouve saine et voluptueuse dans la deuxième partie. Le Comte Capulet enfin démasqué est chanté comme rarement. Excepté un Duc fatigué, tous les autres rôles n’appellent que des compliments. Yu Shao, Yoann Dubruque, Thomas Ricart et Arnaud Richard se font tous remarquer. Avec un jeu subtil, Marie Lenormand n’est pas la Gertrude chaperon qui accompagne sa pupille Juliette présentée habituellement. En sautant dans les chaussons de l’héroïne au tout dernier moment, Perrine Madoeuf a sauvé la soirée avec tous les honneurs même si sa prestation vocale trop uniforme appelle quelques réserves. Son Roméo possède lui toutes les infinies nuances qui provoquent l’effet "waouh" et ce tonnerre d’applaudissements rarement entendu à Paris après un « Ah ! Lève-toi, Soleil ! » d’anthologie. Même si Pene Pati n’est pas un inconnu (il a été le récent Nemorino de L’elisir d’amore à Bastille), le ténor est une véritable révélation dans ce rôle grâce à des moyens vocaux impressionnants (diction, longueur de souffle, tenue de l’aigu, couleurs, nuances...) et un timbre aussi séduisant que celui d’un Pavarotti. A croire que Roméo porte chance à l’Opéra Comique car lors des dernières représentations du chef-d’oeuvre en 1994, sur cette même scène, le rôle était tenu par un certain Roberto Alagna alors quasi débutant...