Un souffle nomade en terre minimaliste
Dans le domaine de la musique classique, imaginer un trio amène l’idée toute faite de trois artistes autour d’un violon ou d’un piano. Il existe pourtant bien d’autres formations, certes plus rares, qui regroupent d’autres types d’instruments, comme par exemple, les flûtes. Le Trio d’Argent vient de fêter ses 30 ans d'existence. Depuis leur rencontre à l'Ecole Normale de Musique de Paris, Michel Boizot, François Daudin Clavaud et Xavier Saint-Bonnet jouent ensemble et tour à tour de la flûte, du piccolo, des flûtes basses ou des flûtes en bambou, en fonction des nombreuses partitions. Autre lieu commun à dépasser, le répertoire pour un trio de flûtes existe même si, pour l’alimenter, on fait également appel à des transcriptions. Entre musique baroque et contemporain, après Devienne, Kulhau, Mozart, des compositeurs d’aujourd’hui comme Thierry Pécou, continuent à écrire. Le Trio d’Argent est d’ailleurs dédicataire de nombreuses oeuvres. Le programme du concert donné le 19 mars 2015, au Triton, la scène de musiques présentes des Lilas, était constitué d’œuvres à caractère minimaliste.
C’est dans une belle cohérence que se sont succédées les œuvres de huit compositeurs, à cheval entre XXème et XXIème siècle, offrant une large palette brillamment défendue par le Trio d’Argent, Nicolas Vergne, au piano et Grégory Feret, au vibraphone. En ouverture, le premier mouvement du Musica ricercata de Ligeti, transcrit pour piano et vibraphone a donné le ton du concert avec la seule note « la », répétée en amplifiée. Fermant la boucle et comme en écho à cette introduction, le fameux In C de Terry Riley servira de conclusion, avec la note « do » cette fois, répétée à l’infini. Dommage que Nicolas Vergne et Grégory Feret n’aient pas immédiatement senti l’acoustique du lieu car les premières notes de Ligeti ont été jouées très fort.
Composée en 1993 par François Daudin Clavaud, l’un des membres du Trio, la musique de « Ombre de l’aile » est élégante. Est-ce la lecture d’un poème de Jeanne Gatard en introduction qui nous le suggère ? mais les phrases envoûtantes nous donnent la sensation d’un univers maritime où les grands espaces et les horizons lointains offrent des fulgurances minimalistes bienvenues. Un très beau moment.
Le seizième regard sur l’enfant Jésus de Messiaen contraste avec son énergie déstructurée mais l’interprétation au piano, vibraphone et flûtes convainc moins que l’original pour piano, en cause de nouveau, l’acoustique peu propice au forte. Si la musique du compositeur français semble éclatée, dans le Spiegel im Spiegel d’Arvo Pärt, en revanche, l’épure domine. La longue ligne de l’œuvre de 9’30 est jouée par le trio et Nicolas Vergne avec conviction qui évite tout ennui.
Comme pour Arvo Pärt, la musique de Steve Reich est reconnaissable entre toutes, avec ses infimes variations qui entraînent une progression imperceptible. Le rythme est la clé de voûte de Piano Phase où la grande difficulté pour le piano et le vibraphone est de compter les barres de mesure, sans perdre une note. Reich écrit une musique à sensation physique qui bouleverse les sens et notre perception de l’ordre.
La deuxième œuvre de Daudin Clavaud au programme, Souffle d’Hermès, d’une écriture peut-être plus immédiate, est moins surprenante mais tout aussi séduisante que Ombre de l’aile. Avec les Tres Toritos (trois défis) de Gabriela Ortiz, composés pour le Trio d’Argent, le jeu se fait ludique et les artistes défendent très agréablement cette partition malgré un final strident, assez difficile pour les oreilles.
Dernière étape du voyage en terres minimales, les cinq artistes se retrouvent pour In C de Terry Riley. Après la pulsation, donnée ici par le vibraphone, la musique de l’instant, supposée non écrite est en fait très savante. Le Trio, à qui l’on confie une carte blanche, offre une interprétation passionnante et signe là, le temps fort d’un concert pourtant déjà riche.
Un prochain concert du Trio d’Argent aura lieu le 28 mai dans la même salle, avec une performance de la peintre Tina Asara. Autour du quatuor de Kulhau, les artistes ont eu la bonne idée d’inviter un très grand maître de la flûte, Patrick Gallois.