Raphaël Pichon en pleine Passion au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence
C’est le printemps et le Vendredi saint, il pousse des Passions de Bach un peu partout dans les salles de concert. Qui offrira la plus belle version 2018 ? Et si avec Raphaël Pichon, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence décrochait la palme de la plus inspirée jamais entendue ? Compte-rendu…
Bach est au festival de Pâques d'Aix ce que Mozart est à celui d'été, un incontournable. En cette Semaine sainte, il était naturel de se tourner vers le compositeur qui tutoie Dieu en proposant une de ses Passions dans la programmation. Depuis la première édition, les grandes baguettes se sont succédées chaque année sur le podium du superbe Grand Théâtre de Provence pour servir un Bach.
Cette saison 2018, la direction de la Johannes-Passion a été confiée à Raphaël Pichon. Et ce 30 mars 2018, jour ô combien éloquent du Vendredi saint, l’ensemble Pygmalion a apporté sa pierre à l’édifice en délivrant une interprétation qui fera date dans l’histoire du festival. Nous avons entendu l’étonnement d’une festivalière sur le jeune âge du chef pourtant aguerri. Né en 1984, il côtoie l’œuvre du Cantor de Leipzig depuis ses débuts fracassants en 2006 avec la fondation de Pygmalion. Quelques remarquables enregistrements ont précédé un cycle passionnant des cantates de Bach, en cours actuellement à la Cité de la Musique – Philharmonie de Paris. Raphaël Pichon est le parfait représentant de cette jeune génération, post révolution baroque. Les pionniers Harnoncourt, Herreweghe ou Leonhardt (avec qui il a collaboré) ont laissé le champ libre à des artistes qui abordent aujourd’hui les grandes fresques de Bach en osant beaucoup, à commencer par la beauté.
Avec son intelligence instinctive du texte, Pichon fait sensation dès le début du concert qu’il ouvre de façon inhabituelle par « O Traurigkeit, O Herzeleid ! » (Ô tristesse, ô chagrin !), une œuvre anonyme a capella. Pour aviver la Passion, il insère d’autre pièces dont des extraits de la cantate BWV 159 avec un vibrant « Es ist vollbracht » confié au baryton qui incarne Jésus. La symétrie avec le grand air d’alto No. 30 n’est pas sans rappeler le travail de Bach lui-même qui en architecte, aimait bâtir des ponts au sein même de ses partitions.
Un Christ habité et un évangéliste en état de grâce
Mais le coup de génie de Raphaël Pichon est d’avoir pensé à construire une subtile mise en espace. A l’aide du surtitrage bienvenu dans cet opéra qui ne porte pas son nom, le spectateur est plongé dans une ambiance mystique où les solistes incarnent comme des acteurs la compassion, l’amour ou la souffrance. La représentation nous a offert de nombreux moments suspendus grâce notamment à l’implication hors du commun des solistes. Julian Prégardien est aujourd’hui sans conteste le plus grand évangéliste. Chaque mot est pesé et déclamé avec des moyens exceptionnels. Longueur de souffle et large tessiture lui permettent d’affronter les redoutables arias qu’il endosse également, suite à l’annulation de l’artiste prévu dans les parties de ténor. Avec un timbre de voix proche du divin, le baryton Tomás Král est habité et semble investi corps et âme dans le rôle du Christ. Christian Immler, solide baryton-basse apporte l’abattage nécessaire pour Pilate.
Côté voix féminines, Kateryna Kasper a les aigus cristallins adéquats à la partie soprano. Dans les parties alto, Lucile Richardot, moins à l’aise dans son premier aria, chante à merveille le fameux « Es ist vollbracht » avec une gravité et une compassion manifestes. Comme la parfaite distribution, le chœur et l’orchestre de l’Ensemble Pygmalion n’appellent que des louanges sans oublier le continuo raffiné, acteur de premier plan lui aussi. En confiant les clés du Bach 2018 à Raphaël Pichon, le Festival de Pâques d’Aix en Provence imaginait certainement ouvrir de superbes portes. Se doutait-il qu’il allait emmener ses festivaliers béats aussi proche d’un tel paradis ?