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Ottavio Dantone : « Nous avons changé, c’est évident ! »

Ottavio Dantone : « Nous avons changé, c’est évident ! »

On ne présente plus Ottavio Dantone, grand chef baroque italien qui depuis maintenant trente ans nous enchante à la tête de l’Accademia Bizantina, orchestre indissociable. Partenaires fidèles de Viktoria Mullova ou d’Andreas Scholl, ils possèdent une impressionnante discographie souvent couronnée de prestigieuses récompenses. En concert, à l’opéra ou au disque, chef et orchestre sur instruments d’époque déploient des sonorités irisées avec un art du baroque éprouvé. Les mélomanes ont eu tout le loisir de s’habituer à la parfaite tenue de l’ensemble en oubliant souvent le travail accompli, les heures de recherche et de répétition.

Acteurs majeurs de la Vivaldi Renaissance, Ottavio Dantone et l’Accademia nous ont offert bon nombre de redécouvertes. Vivaldi n’est pas le seul compositeur au cœur de leur répertoire qui s’étend bien au-delà de Bach, Scarlatti, Purcell ou Pergolesi. C’est dans sa loge de l’opéra de Modène, à l’occasion d’une représentation de Serse de Haendel (le spectacle est repris à Beaune le 19 juillet 2019, en version de concert) qu’Ottavio Dantone nous a accordé cette interview. L’artiste parle avec enthousiasme de son métier, de la musique, des enregistrements et de ses futurs engagements qui marquent un tournant dans cette carrière exemplaire.

Ottavio Dantone © DR

Ottavio Dantone © DR

Dans le fameux air « Ombra mai fù », les mélomanes sont habitués à entendre des voix de mezzo ou de contreténor. Pour ce Serse de Haendel, vous avez fait appel à Arianna Vendittelli, une soprano. Pourquoi ce choix ?

En accord avec tous les théâtres qui sont à l’origine de la production, nous avons construit une distribution avec des voix essentiellement baroques. J’ai eu la chance de travailler déjà avec la plupart des artistes sur scène.

Aujourd’hui, les querelles esthétiques sur le type de voix n’ont plus lieu d’être. Elles sont d’ailleurs inutiles car à l’époque de Haendel, nous étions en plein règne des castrats. Il est possible d’utiliser la technique des contreténors quand le rôle s’y prête mais à mon avis, la voix d’une femme est sans doute plus proche de celle naturelle des castrats même si nous n’en savons rien.

Pour un héros comme Serse qui n’est pas dans la véhémence, j’ai préféré la voix d’Arianna qui traduit sans doute mieux sa fragilité. Sans l’avoir recherché, nous nous sommes décidés pour une distribution presque exclusivement féminine comme en Italie où, à l’époque, il était impossible de mélanger les hommes et les femmes sur scène. Fort heureusement, nous n’avons plus ces contraintes. Nous sommes libres de composer avec les belles voix d’aujourd’hui en suivant les principes philologiques pour l’orchestre. Pour moi, la vraie philologie est de s’approcher le plus possible d’un langage qu’on imagine conforme.

Avec le diapason également ?

Heureusement que nous nous sommes accordés sur ce diapason à 415 Hz. Il faut savoir qu’à l’époque baroque en France, les sons étaient plus bas, c’était l’habitude. En revanche, dans le nord de l’Europe ils étaient plus haut. A Venise par exemple, le diapason était de 460 Hz et dans le sud 415, dans le même pays ! De façon pragmatique, ce sont surtout les voix des chanteurs qui vont définir la hauteur pour l’orchestre. Si j’ai la chance de travailler avec un contralto qui a une étendue aussi importante que celle du castrat Senesino, j’évite d’utiliser un diapason trop haut qui deviendrait inhumain pour la chanteuse.

Peut-être une question de puissance ?

Ce n’est pas vraiment l’enjeu. En général, je préfère la qualité de la voix à la puissance. La question se pose peut-être dans des théâtres plus grands. Mais quand vous avez la chance d’avoir sur le plateau un vrai ténor di grazia comme dans La Cenerentola de Rossini que je viens de diriger à la Scala de Milan, je préfère réduire la puissance de l’orchestre.

Ottavio Dantone © DR

Ottavio Dantone © DR

Pour Rossini, vous avez également choisi des instruments d’époque ?

Ils sont très importants pour la couleur, pour la qualité du son plus que pour le volume mais à La Scala, ce sont des instruments modernes. En Italie, la révolution baroque est toujours en train de faire son chemin…

Vous avez dirigé La Cenerentola à Paris également…

En effet, c’était la production de Guillaume Gallienne au Palais Garnier. La saison prochaine, je reviens pour conduire l’Orchestre National de France dans un programme Mozart. A Paris, nous avons un autre projet avec la Filarmonica della Scala, cette fois dans le répertoire romantique.

Avec l’Accademia Bizantina, vous pensez aborder d’autres répertoires ?

Nous avons un projet Schubert, Mendelssohn et Schumann avec un effectif augmenté. Comme avec les autres orchestres, j’essaie de proposer une lecture différente, plus transparente avec une attention aux particularités, à l’articulation, à tout ce qui n’a pas encore changé dans le geste musical.

Et vous allez utiliser des cordes en boyau ?

Bien sûr ! Même si je devais diriger du Wagner car c’était le son de l’orchestre à cette époque. Les compositeurs avaient ce son en tête lorsqu’ils ont écrit leurs oeuvres.

Les instruments d’époque ont fait évoluer l’écoute des mélomanes ?

Nous avons changé, c’est évident. Je pense qu’avec cette nouvelle esthétique, les auditeurs ont réalisé que le langage proposé était naturel. Petit à petit, ils ont perdu l’habitude d’écouter de la musique baroque sur instruments modernes. Mais nous n’avons pas de mérite lorsque l’on respecte ce qui est écrit. La rhétorique aide à comprendre comment traiter la partition pour présenter une émotion.

Vous avez d’ailleurs accompagné la grande violoniste Victoria Mullova quand elle a changé sa technique.

Avant, les musiciens coexistaient dans un monde vraiment divisé malgré l’évolution à la fois technique, intellectuelle et culturelle amenée par le baroque. La Mullova fait partie de ces grands artistes très intéressés par la nouvelle approche. Elle sentait qu’elle ne pouvait plus jouer la musique de Bach comme avant. D’abord avec Giovanni Antonini et après avec moi, nous avons beaucoup discuté. La musique est un échange et moi aussi, j’ai beaucoup appris avec les « modernes » comme Claudio Abbado.

Racontez-nous votre rencontre avec Claudio Abbado, ce chef de légende !

Lorsqu’il a fondé l’Orchestra Mozart à Bologne, il a fait appel à des musiciens avec de l’expérience dans la musique ancienne, notamment pour interpréter les concertos Brandebourgeois de Bach. Abbado était un artiste très intelligent avec beaucoup de charisme et une véritable chaleur humaine. Pendant les répétitions, il posait des questions et les discussions musicales qui en découlaient étaient, vous l’imaginez, très intéressantes. Nous sommes restés en contact et lorsque j’ai dirigé Il viaggio a Reims de Rossini à La Scala, il m’a invité chez lui pour me montrer sa partition avec toutes ses précieuses annotations.

On se souvient en effet que Claudio Abbado a ressuscité l'œuvre au Rossini Opera Festival dans les années 80. A propos de redécouvertes, vous avez contribué à ce qu’on appelle la Vivaldi Renaissance avec de nombreux enregistrements chez Naïve. D’autres projets sont en cours ?

Dans les prochains jours, nous allons enregistrer de nouveaux concertos pour violon de Vivaldi dont deux ou trois inédits qui viennent de la bibliothèque de Turin. L’interprète sera Alessandro Tampieri qui est le violoniste de l’Accademia Bizantina. Nous sommes ravis de pouvoir mettre son talent en avant car c’est un très grand soliste.

Accademia Bizantina © DR

Accademia Bizantina © DR

Naïve a fait également appel à nous pour l’opéra Bajazet qui manquait encore à la collection Vivaldi. Nous avons un autre projet d’enregistrement qui nous tient à cœur. Ce sont trois disques autour de la musique de Carl Philip Emanuel Bach qui portent le titre de Révolution pour marquer le tournant de l’ensemble vers Schubert et les romantiques. Il y a encore d’autres enregistrements qui sortent chez Naïve, deux avec Delphine Galou dans des programmes consacrés aux airs sacrés et aux airs profanes pour contralto de Vivaldi. Pour Decca, il y a également un disque de clavecin avec les concerti grossi de Haendel avec un sérieux travail de reconstruction.

Nous avons beaucoup de chance d’avoir la belle opportunité de faire encore des enregistrements grâce à un sponsor qui nous soutient. En Italie, c’est un grand luxe et c’est fondamental pour pouvoir exister.

Il y a une autre partie de votre carrière que l’on connaît peut-être un peu moins, c’est le clavecin…

Oui, je reste claveciniste et organiste. Et d’ailleurs, je viens d’enregistrer des œuvres de Benedetto Marcello conservées dans la bibliothèque Marciana à Venise. Et j’espère que le disque va faire un peu mieux connaître ce compositeur que j’adore et qui est vraiment très intéressant. Comme pour Vivaldi ou Cavalli, il y a parfois des vagues qui aident à la redécouverte du patrimoine. Aujourd’hui nous avons les instruments adéquats pour aller chercher les chefs-d’œuvre endormis.

J’imagine que vous faites toujours des recherches ?

Notre musicologiste est comme un chien dans une truffière. Il est en contact avec toutes les bibliothèques d’Europe. Il me propose beaucoup de choses et nous n’aurons sans doute pas le temps de tout jouer mais nous gardons des partitions dans les tiroirs, pour le futur… Les directeurs de théâtre sont plus enclins à programmer un opéra de Haendel dans leur saison car c’est un compositeur apprécié. Je pense néanmoins qu’en Italie, les programmateurs ont peur de l’aventure, le public beaucoup moins !

Nous avons fait un opéra de Pergolèse qui est trop délaissé alors qu’il était considéré comme le meilleur compositeur lyrique de son époque. Il est mort très jeune en laissant sept opéras plus beaux les uns que les autres. Les grands théâtres ne l’affichent pas encore mais il est prévu que je dirige une de ses œuvres à l’Opéra de Zürich en 20-21.

A propos, quels sont vos prochains rendez-vous sur scène ?

Cet été 2019, nous reprenons Serse en version de concert à Beaune et nous avons un concert d’airs sacrés de Vivaldi à la Chaise-Dieu avec Delphine Galou. Il y a une Italiana in Algeri qui se profile à La Scala de Milan et également des projets à Munich, Dresde, Zürich. J’aime beaucoup l’Opernhaus qui est comme un laboratoire, un théâtre prestigieux qui reste à taille humaine. J’aimerais diriger un opéra au Palais Garnier avec l’Accademia, c’est tellement magnifique. Malgré tout, je pense réduire un peu mon activité de chef car ces dernières années le rythme était vraiment fou. Nous habitons à Paris mais habiter est un bien grand mot car nous n’y restons que deux ou trois semaines par an !

Propos recueillis à Modène, le 7 avril 2019.

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