Grétry : Richard Cœur de Lion - Hervé Niquet
Sortie le 25 septembre 2020 sous le label Château de Versailles Spectacles
Le label Château de Versailles Spectacles prolonge un excellent travail de programmation sur les scènes des lieux historiques avec des enregistrements CD. Avec la nouvelle parution de Richard Cœur de Lion de Grétry, les mélomanes sont doublement gâtés puisqu’il s’agit à la fois d’une captation audio et vidéo. Le luxueux coffret renferme le CD et le DVD du même spectacle avec deux distributions différentes offrant du plaisir à la fois pour les yeux et les oreilles. Le DVD admirablement filmé par Julien Condemine permet d’apprécier une production traditionnelle plus proche de la restitution historique que d’une réinterprétation hasardeuse. Les tenants du bon goût seront ravis, ceux de la modernité moins mais chacun s’accordera sur l’excellente tenue de l’ensemble. Une seule petite entorse toutefois, l’action se déroule non pas au temps de Richard mais dans le XVIIIe siècle du compositeur même si les toiles peintes évoquent quelques ruines gothiques. Le critique pourra sans doute relever un petit manque de naturel dans les dialogues parlés mais le charme opérant, il préfèrera sans doute se taire pour apprécier la mise en scène de Marschall Pynkoski et la chorégraphie de Jeannette Lajeunesse Zingg. Même s’il existe déjà des enregistrements, Richard Cœur de Lion mérite bien ce déploiement. Le chef-d’œuvre de Grétry est mondialement connu grâce à La dame de Pique de Tchaikovsky (où la comtesse chante l’air bien connu « Je crains de lui parler la nuit ») mais comme souvent, nul n’est prophète en son pays et la partition dort trop souvent sur les étagères des bibliothèques.
La révolution Grétry n’a pas encore eu lieu et même si les mélomanes ont parfois l’opportunité de voir ses œuvres çà et là, il faut déplorer que le compositeur n’ait toujours pas réussi à retrouver sa place à l’affiche des salles d’opéras du XXIe siècle. Richard Cœur de Lion est considéré, à juste titre, comme le chef-d’œuvre de Grétry où sont en germe les marqueurs du grand opéra français. L’opéra comique connait une autre postérité grâce à l’air « Ô Richard, Ô mon Roi ! » entonné par les Gardes du Corps de Louis XVI. C’était en 1789 et l’on comprend facilement pourquoi l’œuvre n’a plus été joué à Versailles ensuite ! Pour l’anecdote, la production est la première enregistrée à l’Opéra Royal depuis 1789. Le principal artisan de cette belle réussite est Hervé Niquet. A la tête de son ensemble, un Concert spirituel des grands soirs, le chef apporte une élégance et beaucoup de naturel à cette musique colorée que l’on redécouvre avec bonheur. Les chœurs se distinguent grâce à une diction remarquable.
Même si son nom occupe toute l’affiche, Richard n’est pas le rôle principal et pourtant, Reinoud Van Mechelen, solaire, éclipse ses camarades dans des interventions trop rares. Incarné par Rémy Mathieu au DVD et par Enguerrand de Hys au CD, l’anti-héros Blondel est quasiment de chaque scène. Les deux ténors apportent une jolie fraîcheur dans une interprétation comparable avec sans doute pour le deuxième un timbre qui passe mieux au disque (même s’il demeure étonnant d’avoir deux artistes pour le même rôle). Plus fréquent, Marie Perbost occupe un double emploi avec les rôles trop courts d’Antonio et de la comtesse Marguerite d’Artois. Le timbre riche et séduisant de la soprano et l’intelligence du texte emportent l’admiration même si le jeune garçon est un peu moins crédible sur scène que la belle comtesse. Il est facile de retenir le grand air de Laurette déjà immortalisé par Tchaïkovsky. Melody Louledjian possède elle aussi beaucoup de charme et chante sa partie à merveille. Avec cette grande version moderne de Richard Cœur de Lion de Grétry, le label Château de Versailles Spectacles pose la nouvelle pierre d’un édifice à reconstruire.