Saimir Pirgu : "Travailler avec Woody Allen a été une expérience merveilleuse"
Saimir Pirgu fait partie de ses interprètes qui livrent des prestations toujours irréprochables sans pour autant étaler son physique à la une des magazines. Une double actualité occupe pourtant le ténor car le 31 mars prochain, il sera au Théâtre du Châtelet pour un récital où il chantera des extraits d’opéra que l’on peut déjà retrouver dans un tout nouveau CD intitulé « Il mio canto » sorti récemment. Une occasion pour Music & Opera de faire plus ample connaissance avec ce grand artiste d’aujourd’hui.
Pourquoi avoir choisi "Mio canto" comme titre de votre nouveau CD ?
C’est un projet très personnel car je souhaitais que l’album soit un peu le reflet de ma signature vocale actuelle et de mes choix d’interprétation. Comme une photographie sur tous les rôles que j’ai déjà abordés dans les grandes salles dans le monde, le CD restera un témoignage sur ma façon de chanter aujourd’hui car il se peut que dans deux ans, j’ai abandonné ces rôles ou que mon approche soit complètement différente. Et puis, j’ai eu cette chance énorme de pouvoir compter sur l’Orchestra del Maggio Musicale Florentino. Nous sommes très heureux du résultat, j’en suis même très fier car nous voulions que la restitution soit la plus naturelle possible. Nous avons apporté un soin particulier pour que rien ne soit retravaillé de manière digitale. La voix est dans sa plus simple vérité.
Comment avez-vous découvert que vous aviez cette voix ?
A Tirana en Albanie, pendant les dernières années du système communiste, à l’école, on repérait les enfants avec un certain talent pour la musique et j’ai ainsi pu commencer par le violon. Je suis devenu chanteur ensuite et de façon assez simple, finalement. J’ai eu une révélation en regardant le tout premier concert des Trois ténors à la télévision. Même si je n’ai pas tout de suite réalisé que je pouvais devenir chanteur, j’ai su que je voulais faire de la musique. Dans ma chambre d’adolescent, je m’amusais à m’enregistrer, à faire comme Carreras même si je craquais tous les aigus. A 17 ans, on m’a encouragé à aller en Italie mais je voulais finir le violon d’abord pour ensuite devenir chef d’orchestre. Je n’avais pas encore réalisé que j’avais une voix car à cet âge, vous êtes encore à des années lumières de ce que sera votre voix. Je suis donc allé auditionner au conservatoire de Bolzano et c’est là que les professeurs ont décelé cette voix de ténor.
En 2000, je suis arrivé en Italie et en 2002 j’ai gagné deux concours de chant prestigieux (Caruso et Tito Schippa). Ensuite en 2003, j’ai rencontré Claudio Abbado pour une audition et en 2004, j’ai fais mes premiers pas avec lui. Puis j’ai fais mes débuts au Salzburger Festspiele, au Wiener Staatsoper et partout dans le monde, très vite !
Et clin d’œil aux trois ténors, j’ai eu la chance de rencontrer Luciano Pavarotti et de chanter souvent avec Placido Domingo, notamment au Metropolitan Opera lorsqu’il a chanté son premier Germont père dans La Traviata.
Je crois que j’ai eu une chance incroyable. J’ai fait également des rencontres fabuleuses avec des grands chefs d’orchestre, Abbado, Muti, Mariss Jansons, Lorin Maazel, Zubin Mehta, Nikolaus Harnoncourt…
Ce sont des chefs aux univers très éloignés. Passez-vous facilement de l’un à l’autre ?
Je crois que tout est une question d’énergie. Ce n’est pas que la voix ou la qualité technique car si vous ne comprenez pas l’énergie qui vient de ces chefs, vous ne pouvez pas faire de musique avec eux. C’est la même chose avec les partenaires avec qui l’on partage cette dynamique. Nous nous portons les uns et les autres.
J’ai chanté dans 22 productions de Traviata avec les plus grandes, Natalie Dessay, Diana Damrau, Angela Gheorghiu. L’interaction est différente à chaque fois mais parfois grâce à cette énergie vous formez un tout. Vous faites partie de la même histoire et c’est unique à chaque fois.
A propos de répertoire, les opéras de Mozart, Verdi et Puccini sont comme votre socle. Alfredo, bien sûr mais vous avez également abordé Werther. Comment appréhendez-vous les nouveaux rôles ?
Comme j’ai commencé très tôt, l’important pour moi a toujours été de progresser étape par étape car vous ne pouvez pas démarrer avec les rôles exposés de Verdi ou Puccini ou avec Werther et Hoffmann sans abîmer irrémédiablement votre voix. J’ai donc commencé avec Don Giovanni, Cosi, Traviata, Elisir d’amore et également les concerts. Et puis, j’ai essayé d’autres choses pour voir ce que cela pouvait donner et aussi pour me donner une idée sur mon devenir. A 25 ans, par exemple, j’ai fait mon premier Duca di Mantova de Rigoletto au Portugal. Le rôle n’était pas encore vraiment pour ma voix de lirico leggero de l’époque mais ça a bien marché. J’ai attendu encore quelques années pour le chanter à Zurich. Et comme ça s’est merveilleusement bien passé, je l’ai fait ensuite au Royal Opera House, puis à Vienne, puis aux arènes de Vérone. Je peux le chanter partout sans l’ombre d’un souci.
Je souhaite garder les rôles mozartiens, dans mon répertoire, bien évidemment. Lorsque vous avez eu la chance de chanter Idomeneo sous la direction de Nikolaus Harnoncourt, c’est un rôle qui reste gravé même si la barre est haute. J’ai chanté récemment un Ballo in Maschera de Verdi avec Zubin Mehta qui va rentrer à mon répertoire avec d’autres Verdi comme Don Carlo. Et puis il y a les grandes oeuvres françaises comme Les Contes d’Hoffmann. La partition est plus lourde pour la partie ténor mais on doit essayer…
Werther est un rôle que je n’ai pas conservé car il est très exigeant. Je pense qu’il doit rester exceptionnel dans une carrière pour que les spectateurs ne s’habituent pas à l’idée que vous pourriez le refaire encore et encore.
Mais vous savez, chanter le Requiem de Verdi peut être plus difficile car vous n’avez pas l’artifice de la scène. Vous êtes seul avec votre voix. Alors bien sûr, vous pouvez choisir d’user de toute votre force pour faire voir au public que vous avez les décibels. Mais si vous choisissez de chanter mezzo-forte comme Verdi l’a écrit, c’est autre chose…
Concernant les mises en scène, vous avez travaillé avec Woody Allen ou Willy Decker notamment, quel style préférez-vous ?
Travailler avec Woody Allen a été une expérience merveilleuse. J’ai beaucoup appris des metteurs en scène d’opéra et de théâtre comme Richard Jones, Deborah Warner ou Laurent Pelly avec qui on a l’impression de construire quelque chose. Peu importe que ce soit moderne ou vieux jeu, pour moi, il y a deux types de productions : les productions intelligentes et celles qui ne le sont pas. Toutefois, il faut rester sur la même planète que le compositeur. Dans Traviata, une Violetta amoureuse de Germont père, ça ne marche pas ! L’idéal, c’est quand les metteurs en scène travaillent en symbiose avec leurs artistes. La Traviata de Laurent Pelly à Santa Fe ou celle de Jean-Marie Sivadier ont été construites pour Natalie Dessay car elle les a inspiré. A l’opéra de Vienne avec les reprises, les idées se perdent car vous n’avez pas le temps de répéter.
La salle dans laquelle vous vous produisez a une importance ?
Oui, bien sûr ! L’acoustique du Concertgebouw ou du Musikverein vous porte mais vous avez aussi la qualité du public. Certains soirs, les spectateurs sont là juste pour le show. Comme si ils étaient au cinéma, ils sont heureux d’apprécier ce qu’ils voient et n’applaudissent pas toujours au bon moment. Et puis, il y a les spectateurs attachés à la tradition comme à Vienne ou en Allemagne qui ne sont là que pour la musique. Et enfin, vous avez l’Italie où vous ne savez jamais sur quelle sorte de public vous allez tomber !
Mais c’est aussi le rôle de l’artiste de communiquer avec son public. Pour le concert au Châtelet, j’ai envie d’interagir avec lui en lui expliquant les choix d’extraits d’opéra que je vais chanter. J’espère que les gens poseront des questions. J’espère ainsi qu’ils s’intéresseront encore plus à ce que nous faisons…
Propos recueillis le 11 février 2016 par @HuguesRameau