Lorsque l’on rencontre le sémillant Lionel Bringuier, il est surprenant de se dire que ce jeune homme de 33 ans bourré de talent a déjà passé la moitié de sa vie sur les podiums à diriger des orchestres de prestige. On connaît pourtant sa brillante carrière, démarrée sur les chapeaux de roues avec notamment un Grand Prix au concours de Besançon, mais son allant et son sourire jovial feraient presque oublier que l’événement date de 2005. 15 ans déjà ! Depuis, de nombreux événements sont venus jalonner son parcours qu’il évoque avec enthousiasme lors d’un entretien qu’il nous a accordé à Nice. Même entre deux avions, Lionel Bringuier reste attaché à sa ville natale qui a eu la bonne idée de lui confier une série de concerts étalés sur la saison 2019-20. 

C’était avant le confinement, avant que les mélomanes du monde entier ne perdent leurs repères. Aussi, ne sera question ici que d’un seul virus, celui de la passion de la musique classique !

On imagine souvent que les artistes internationaux n’ont pas vraiment un « chez-eux ». C’est le cas pour vous ? 

Concrètement, j’habite à Nice mais il est vrai que Los Angeles par exemple est un peu ma deuxième maison. J’y ai passé six saisons en tant que chef invité et pour l’anecdote, tous les jours je partageais mes repas avec Gustavo Dudamel. Forcément, je le considère comme un ami proche.

Surtout que vous avez un parcours de jeune prodige assez similaire. Vous avez dirigé votre premier orchestre à 14 ans et Dudamel à 18...

Gustavo a magnifiquement géré sa carrière après ses débuts pour réussir à s’imposer facilement comme l’un des très grands chefs actuels. Lorsque comme nous, vous commencez très jeune à diriger, il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. Il convient surtout d’arriver petit à petit à sortir de la case « prodige » car il y a un moment où vous n’impressionnez plus parce que tout simplement, vous avancez en âge. Et même si vous avez 19 ou 20 ans, les orchestres attendent de vous une qualité artistique qu’il sont en droit d’exiger.

Tout a commencé à Nice pour vous ?

En effet, j’ai suivi le conservatoire jusqu’à 13-14 ans et puis je suis monté à Paris. Voilà une autre ville extrêmement importante pour moi. J’y ai non seulement beaucoup d’amis musiciens mais aussi une foule de souvenirs. Lorsque j’étais en classe de chef d’orchestre, nous allions voir les répétions de l’Orchestre National de France. J’ai eu la chance de voir le travail de personnalités fabuleuses comme Riccardo Muti ou Bernard Haitink. C’est une histoire personnelle que j’ai avec le National, je crois, car une grande partie de mon éducation musicale a été faite à Paris et avec ces musiciens. D’ailleurs, nous rentrons de Berlin et Salzbourg. Vous imaginez avec quelle humilité j’ai accepté cette tournée !

Et parlez-nous du Concours international de jeunes chefs de Besançon...

C’était l’année juste avant mon diplôme. J’avais 19 ans et n’avais pas osé dire à mes camarades que je m’y présentais. Comme il a eu lieu juste avant la rentrée, il a bien fallu leur dire que j’avais gagné. Ils ont accueilli la nouvelle avec une grande bienveillance. On raconte souvent que les chefs sont des solitaires mais ce n’est pas la vérité car il y a une grande complicité entre nous tous. 

Après un concours tel que celui de Besançon, vous recevez des invitations de toute part mais à ce moment-là, j’ai choisi de partir au Los Angeles Philharmonic. Cela me permettait, en tant qu’assistant, d’être en contact au quotidien avec un excellent ensemble tout en restant spectateur de leur travail. En cela, le système américain est bien fait car un tout jeune chef peut diriger un grand concert. Ma toute première expérience devant le Los Angeles Philharmonic avec Jean-Yves Thibaudet au Hollywood Bowl reste inoubliable. 

Lorsque vous avez été nommé Directeur musical de la Tonhalle de Zürich, vous n’aviez pas encore trente ans. C’était la première fois que vous aviez votre propre orchestre ?

Zürich est ma deuxième expérience après Valladolid où j’ai été directeur musical de l’Orquesta Sinfónica de Castilla y León de 2009 à 2012. J’y retourne chaque saison avec grand plaisir comme à Zürich d’ailleurs où le lien créé avec les musiciens reste très fort. Je suis fier du travail que nous avons accompli juste après David Zinman. Je suis arrivé au moment où l’orchestre était prêt à avoir un changement. Nous avons fait venir des compositeurs contemporains, nous avons enregistré des disques Ravel pour DG... ça a été vraiment une merveilleuse expérience.

Est-ce vraiment différent d’être chef invité ?

Être Directeur musical d’un orchestre demande une grande présence sur place. Vous êtes concentré avant tout sur vos musiciens et vous mettez volontairement de côté les invitations. Lorsque j’étais à Zurich, il y a beaucoup d’endroits où je n’ai pas pu aller comme les Etats-Unis, par manque de disponibilité. La saison dernière je me suis rattrapé en dirigeant cinq grandes formations américaines mais aussi la Staatskapelle de Dresde, je suis retourné en Asie... Je réalise que mon calendrier est encore plus rempli maintenant ! Je pars en Finlande puis à Bergen et après Montréal, Florence pour retrouver beaucoup d’orchestres et d’autres que j’avais rêvé de diriger. Cependant, je ne ferme pas la porte à un prochain mandat de directeur musical. 

Certains projets vous inspirent plus que d’autres ?

J’ai hâte de diriger ma première symphonie de Bruckner. Je m’y prépare déjà mentalement. Cela fait presque 20 ans que je suis avec des orchestres chaque semaine. Il est important d’apprendre de nouveaux répertoires pour ne pas tomber dans la facilité. C’est vrai qu’on me demande souvent de la musique française. Mais par exemple, l’orchestre de la BBC avec qui j’ai fait beaucoup de Ravel aime bien rajouter un morceau pour « épicer » le concert. On peut se permettre alors d’avoir des programmes qui sortent de l’ordinaire avec des oeuvres contemporaines, etc. Ce qui compte pour moi, c’est la musique. Je me souviendrai toujours de la première fois où j’ai dirigé la 5ème de Mahler en Islande… 

On vous associe plutôt au répertoire symphonique pourtant vous avez déjà dirigé de l’opéra. Racontez-nous...

Tout à fait, il y a eu récemment un Rigoletto à l’opéra de Stockholm et viennent une nouvelle Carmen à Bergen et Die Zauberflöte à l’Opéra de Tokyo. C’est un travail qui me plaît beaucoup mais qui est extrêmement différent. Quand au concert, vous disposez parfois d’un seul jour de répétition, à l’opéra ce sont six semaines. L’accent est mis sur le style, l’articulation et la prononciation des chanteurs. Quelqu’un qui comme moi adore la langue française se rend compte facilement de ce que l’on peut amener dans une maison internationale lorsque l’on possède l’outil linguistique. 

Verdi est assez éloigné de Bruckner. Quels sont vos goûts personnels ? 

C’est une question difficile parce que j’aime beaucoup de choses. Les choix se font parfois en fonction de l’endroit. Par exemple, à Dresde, vous n’allez pas proposer de jouer du Richard Strauss. Il est plus intéressant de choisir un répertoire que les orchestres ne connaissaient pas forcément. Ça peut être intéressant de défendre les compositeurs français à Stockholm qui les joue peu. Je peux dire que je me sens attiré par les répertoires un peu plus rares, notamment à l’opéra. Plein d’idées me viennent mais aussi Verdi, Puccini, Mozart... Così fan tutte que je trouve magnifique. A Nice, nous aimerions tous collaborer de nouveau et d’ailleurs, nous en parlons sérieusement. 

Nice, justement ! Avez-vous une annonce à faire ?

J’adore être ici, c’est une évidence. J’ai beaucoup appris au sein de l’orchestre dans lequel mon professeur de violoncelle joue toujours. Nous regardons pour les prochaines saisons mais je n’ai pas de scoops à annoncer ! Il faut trouver le titre, le metteur en scène et les chanteurs. Je peux juste dire que l’idée et la volonté sont bien là !

Propos recueillis le 27 janvier 2020