Katharina Konradi : « j’ai toujours l’envie de chanter absolument tout… »
Une petite part d’émotion s’invite toujours lorsque l’on rencontre une jeune artiste pour la toute première fois. Katharina Konradi peut s’enorgueillir d’un début de carrière florissant. Déjà invitée de prestige aux Schubertiade ou sur les plus belles scènes européennes, Zurich, Munich, au Wigmore Hall ou au Festival de Bayreuth, elle a déjà une discographie enviable dédiée principalement au Lied. Il faut dire que la soprano accorde une attention particulière à ce genre qu’elle défend avec passion et talent. De nombreux rires sont venus ponctuer la conversation avec cette artiste chaleureuse, spontanée, lumineuse et terriblement enthousiaste. Avec un sourire sincère toujours présent, elle évoque sa passion pour le chant, son parcours où la bonne fortune semble avoir décelé en elle l’étincelle de vie et d’art. L’interview s’est déroulée dans le calme d’un bar d’hôtel cosy, à côté du Panthéon, juste avant la répétition générale du Requiem de Fauré. Thomas Hengelbrock qui inaugurait sa saison à la tête de l’Orchestre de Chambre de Paris a choisi Katharina Konradi pour le « Pie Jesu », un seul air tellement marquant que les spectateurs n’ont eu d’oreilles que pour elle ! Cette venue à Paris ne sera certainement pas la dernière et l’on se réjouit de la retrouver le plus vite possible…
Est-ce la première fois que vous chantez à Paris ?
Je suis venue à Paris en touriste déjà plusieurs fois parce que j’adore cette ville mais c’est seulement la deuxième fois que je m’y produis. J’ai déjà eu la chance de chanter à la Philharmonie avec cette acoustique tellement incroyable. Nous y avons répété le Requiem de Fauré hier avec Thomas Hengelbrock et l’Orchestre de Chambre de Paris. C’est un vrai plaisir de pouvoir retrouver Thomas parce que j’aime beaucoup sa façon de travailler, de tester de nouvelles choses. Par exemple pour ce Requiem, il m’a demandé d’enlever tout vibrato pour retrouver une voix blanche parce que Fauré a composé le « Pie Jesu » pour un enfant du chœur. Ce n’est pas si évident pour ma voix qui a naturellement pris de l’épaisseur mais la musique est si belle. Et puis je suis également très contente de retrouver Konstantin Krimmel une semaine après avoir partagé avec lui la scène des Schubertiade, en Autriche. Il est quand même assez inédit de pouvoir se dire « à la semaine prochaine à Paris ! ». Dans ces moments-là, on réalise que nous avons une vie fantastique !
Vous êtes née au Kirghizistan. Est-ce là que vous avez découvert la musique classique ?
Hélas ! la culture de la musique classique n’est pas vraiment présente à Bichkek où je suis née mais nous avons pas mal d’airs pour enfant, de la musique populaire et de la pop, bien sûr. A l’âge de 15 ans, grâce à mes grands-parents (mon grand-père était allemand), nous sommes arrivés à Hambourg et c’est là que j’ai découvert Bach et Mozart, à l’école. Je me souviens d’avoir été cueillie par tant de beauté ! Mon professeur qui avait repéré que j’y mettais toute mon âme m’a donné une aria de Bach à travailler ("Öffne dich, mein ganzes Herz" de la cantate Nun komm, der Heiden Heiland, BWV 61). Et voilà, tout est parti de là ! Et lorsqu’à 18 ans, j’ai assisté à ma toute première représentation d’opéra (c’était une Traviata), j’ai compris ce que je voulais faire !
Et est-ce que vous envisagez de chanter ce rôle iconique ?
Oui, je dois bien avouer que j’en ai envie en espérant que cela soit possible un jour. Il faut que ma voix actuelle de soprano léger évolue. Gilda, mon prochain rôle, est plus dramatique et pourra sans doute me rapprocher de Violetta, ce qui n’est pas tout à fait le cas d’Oscar d’Un ballo in maschera ou de Nanetta de Falstaff que je chante déjà au Staatsoper Hamburg. Ce sera d’ailleurs ma toute dernière année au sein de la troupe de l’Opéra et je suis à la fois excitée et un peu effrayée à l’idée de me lancer seule avec l’impression de quitter ma maison. Après l’initiation vraiment joyeuse au collège, je me suis décidé à approfondir le chant en prenant des cours ici même, à l’opéra de Hambourg. Puis j’ai tenté ma chance à Berlin sans savoir vraiment si j’étais faite pour l’art lyrique ! Vous imaginez ma joie lorsque le professeur a accepté de me prendre dans son cours.
Après Berlin, il y a eu Munich…
En effet, auprès de Christiane Iven, liedersängerin bien connue car je souhaitais approfondir la technique du Lied. J’avais et j’ai toujours l’envie de chanter absolument tout, opéras, concerts, mélodies, Lieder, œuvres sacrées... D’ailleurs, au tout début de ma carrière, j’ai préféré ne pas m’engager tout de suite dans des rôles à l’opéra pour pouvoir garder une activité de concertiste et les récitals de mélodie, un peu à l’image des chanteurs d’autrefois comme Hermann Prey. Quand on ne pratique que l’opéra, la voix s’amplifie et j’ai essayé de prendre exemple sur ces artistes lumineux comme lui qui possèdent une grande culture musicale. Régine Crespin est un modèle dans la mélodie française comme Kiri Te Kanawa dont j’admire le naturel sans toutefois comprendre comment ça marche ! Je me sens plus proche vocalement de Lucia Popp qui est une source d’inspiration notamment dans le traitement du texte des opérettes.
Des artistes comme Elisabeth Schwarzkopf ou Dietrich Fischer-Dieskau sont-ils toujours perçus comme des exemples pour votre génération ?
Au conservatoire, ils restent une référence dans le répertoire du Lied et particulièrement pour Schubert. Il est vrai qu’avec la pratique de la scène, on peut considérer leur exemple sous un angle différent, peut-être plus critique car je pense que nous avons une approche plus naturelle aujourd’hui. Schwarzkopf modifie parfois les couleurs et met de l’intention presque à chaque note à l’inverse d’un Hermann Prey dont je reprends l’exemple. Sa façon d’aborder les Lieder de Schubert comme des chansons populaires correspond plus à notre esthétique moins académique et plus naturelle.
Après Munich, vous avez intégré la troupe du Hessische Staatstheater Wiesbaden ?
J’y ai passé trois années extraordinaires. Comme l’opéra de Zürich construit par le même architecte, la salle est à dimension humaine. Papagena, Woglinde, Pamina puis Susanna, j’y ai abordé et testé tous ces rôles pour la première fois. Nous avions entre cinq et huit partitions à apprendre chaque saison où il nous arrivait d’alterner les parties. Dans Hänsel und Gretel par exemple, pouvoir chanter Gretel puis Sandmännchen ou Taumännchen dans la même production est très formateur car cela vous apprend à écouter vos partenaires.
Cela vous a permis également d’affiner vos goûts ?
Ma première Suzanna des Nozze di Figaro de Mozart était à Wiesbaden et à ce jour, c’est vraiment mon rôle préféré. J’adore Pamina de Zauberflöte mais je trouve que Suzanna est plus proche de nous. Et puis, il y a Adele dans Die Fledermaus de Johann Strauss qui est vraiment le personnage que j’aimerais incarner partout. Je n’ai pas de souvenir d’un emploi qui m’ait particulièrement déplu.
Après Wiesbaden, vous êtes revenue à Hambourg, chez vous !...
Oui ! Le Staatsoper m’a invité à chanter Ännchen dans leur production de Freischütz. Ils ont aimé la performance et moi aussi d’ailleurs, alors ils m’ont proposé de les rejoindre la saison suivante avec un contrat de résidence où j’ai eu plus de liberté dans le choix des répertoires. J’ai immédiatement accepté parce qu’en effet, c’était comme rentrer à la maison.
On imagine que votre famille a été ravie, elle aussi ?
Mes parents ont toujours été très encourageants. Alors qu’ils ne connaissaient pas du tout le milieu de la musique classique, il m’ont dit : « Tu peux essayer ! ». Bien sûr, j’étais très enthousiaste et curieuse mais je n’avais jamais imaginé pouvoir gagner ma vie en en faisant mon métier. Je me sens incroyablement chanceuse car c’est un travail de rêve !
Et la musique baroque ?
Je ne l’ai abordée qu’au concert où je chante Bach régulièrement et parfois Monteverdi... Oh non, attendez ! J’ai chanté Morgana dans Alcina de Haendel, comment l’oublier ? (rires). Surtout que j’aime vraiment ce répertoire. Et puis, il y a eu également ce petit rôle dans Il ritorno d’Ulisse in patria avec un ensemble baroque avec qui j’ai particulièrement aimé travailler comme j’ai pu le faire ensuite avec Philippe Herreweghe ou Thomas Hengelbrock dans cette approche « historiquement informée ».
Vos expériences avec ces chefs ont-elles changé votre approche de la musique ?
Herreweghe m’a apporté beaucoup notamment pour le Requiem de Mozart que j’ai pourtant chanté souvent. Il y a eu un avant et un après car jamais je n’avais travaillé sur le texte en latin comme nous l’avons fait. Pour gagner en émotion, il indique doucement comment construire la phrase et l’intention qu’il faut mettre dans chaque mot pour donner encore plus d’intensité. Thomas Hengelbrock nous offre la possibilité de chanter vraiment piano, pianissimo ce qui n’est pas si fréquent. On ressent que nos voix sont utilisées sainement. Il faut que je cite également Manfred Honeck, à mes yeux le chef idéal pour l’opérette car il sait parfaitement rendre le mouvement. Et puis il faut que je cite deux autres grands chefs avec qui j’ai eu l’honneur de me produire : Antonio Pappano qui est tout simplement magique. C’est le meilleur… (NDLR : dit-elle à voix basse, sur le ton de la confidence). Il est tellement gentil et simple. Alors que c’est une véritable star à Covent Garden, il est toujours présent pour son orchestre, pour les artistes et avant tout pour la musique. Lorsqu’il m’a proposé Die Schöpfung de Haydn, je ne pouvais y croire surtout que avons évoqué d’autres projets tout aussi excitants... Je pense également à Adam Fischer avec son approche du chant qui vient de Mozart. Je ne saurais pas vraiment décrire son travail mais de même, il donne l’impression qu’il ferait tout pour ses artistes sur scène.
A Hambourg, vous avez bien évidemment travaillé avec Kent Nagano. Le directeur musical est en train de révolutionner l’approche wagnérienne avec un Ring « urtext ». Vous a-t-il proposé de rejoindre le projet ?
Oui, je devais chanter Woglinde mais malheureusement, faute de disponibilité, je n’ai pas pu mais il est possible que je sois la Stimme des Waldvogels dans Siegfried et pourquoi pas à Bayreuth dans un nouveau Ring ? J’y ai déjà incarné une fille-fleur dans Parsifal et le berger de Tristan und Isolde. De la fosse du Festspielhaus, vous ne voyez que le chef. Pour un artiste comme pour les spectateurs, l’expérience est vraiment exceptionnelle. Cette acoustique de légende vous permet de ne jamais pousser la voix pour couvrir l’orchestre comme ça peut être parfois le cas dans d’autres théâtres.
Nous évoquons les chefs et il faut également parler de l’accompagnement parce que vous vous produisez aussi beaucoup en récital ?
Le choix du pianiste accompagnateur peut être déterminant et il doit être fait, comme pour les chefs de chant, en fonction des répertoires que vous allez chanter. Le plus important, je pense, est de pouvoir être aussi relax sur scène comme dans le privé, entretenir une sorte d’amitié professionnelle. Je travaille principalement avec trois artistes différents car je sais que je peux prendre un peu de chacun pour construire mon propre son. Les pianistes stars de l’accompagnement ne sont pas toujours les mêmes en Allemagne ou en France mais je pense que tout le monde s’accorde à dire que Malcom Martineau est un partenaire sur qui vous pouvez vous appuyer et avec qui vous vous sentez en toute confiance. Il sait mettre toutes les couleurs dans son piano et tous les coussins pour la voix.
Comment composez-vous votre programme quand par exemple, vous vous produisez aux fameuses Schubertiade ?
Les spectateurs habitués de Schwarzenberg et de Hohenems qui parfois même chantent avec les artistes, attendent des Lieder connus mais également des pièces plus rares. J’essaie de proposer des ensembles comme les Mignon-Lieder sur les poèmes de Goethe et des pièces moins jouées. Cet été, j’ai été assez surprise du retour du public enthousiasmé par les découvertes alors que j’étais persuadée qu’ils connaissaient déjà ces Lieder. J’aime tellement construire un programme que cela peut devenir un problème car je veux tout mettre ! Avec les pièces que j’aime et également des choses nouvelles (je chante du Kurtág a cappella pour surprendre le public), les programmes deviennent assez difficiles et parfois même trop longs alors heureusement, les pianistes me freinent (rires). Schubert constitue la base du répertoire mais j’adore également Fauré et Debussy, sans oublier les mélodies de Rachmaninov et de Tchaikovsky, ma langue naturelle. Souvent invitée en Espagne, j’ai découvert des compositeurs que j’adore, Obradors, Montsalvatge… alors je les rajoute !
Quels sont les prochains rendez-vous ?
Je vais bientôt chanter Bruckner, une première, à Munich avec les Balthasar Neumann puis après la Messe en ut, je retrouve Philippe Herreweghe pour une tournée avec le Requiem de Mozart. Je devais aborder Adina de L’elisir d’amore de Donizetti à Hambourg mais malheureusement je suis tombée malade mais je compte bien l’incarner un jour. Je peux annoncer Oscar à Zurich parce que le contrat est signé et peut-être le même rôle sur la scène d’un autre grand opéra européen en 2026... Ilia (Idomeneo de Mozart) est en préparation pour 2027 et peut-être Dialogues des Carmélites. J’aimerais vraiment que ça se fasse mais je ne suis pas tout à fait prête.
Vous parlez français ?
Oui, un peu (NDLR : en français dans le texte) mais je ne le pratique pas assez ! Comme c’est ma première interview à Paris, je n’ai pas osé…
Propos recueillis le 6 septembre 2024