Ce que l’on pense (vraiment) de la saison 2022-2023 de l’Opéra national de Paris
Le programme de saison de l’Opéra national de Paris soulève encore plus de passions que celui des candidats aux élections présidentielles. Et puisque l’enjeu est tout aussi capital, CCC s’engage et vous dit tout ce que l’on doit savoir sur 2022-2023. Décryptage…
Alexander Neef a été élu à la tête de l’Opéra national de Paris en 2020 mais cette nouvelle saison 2022-2023 peut être considérée comme son premier véritable mandat. Après quelques années passées dans la tourmente et une saison 21-22 encore chahutée par les annulations, les spectateurs semblent avoir de bonnes raisons pour revenir dans la première maison d’Opéra de France. En effet, les nouveaux noms qui apparaissent sur les affiches et les propositions d’un répertoire renouvelé dessinent une politique artistique qui s’affirme. La critique étant un sport national dans l’Hexagone, l’on ne serait pas tout à fait français si l’on n’y cherchait pas la petite bête que l’on trouvera cette saison, à bord d’un vaisseau spatial.
« Same same but different » !
Les mélomanes qui ont souffert avec La Bohème de Claus Guth (où ce qui reste du drame se déroule à bord d’une navette et dans l’espace) devront attendre encore un peu pour apprécier le chef-d’œuvre de Puccini dans une autre mise en scène. Les coûts élevés de production obligent parfois les directeurs à reprendre des spectacles qu’ils n’ont pas commandé comme par exemple cet autre chef-d’œuvre de Rossini traité platement. La production de La Cenerentola porte le nom de Guillaume Gallienne en haut de l’affiche. Il se rajoute hélas à la longue liste des artistes de talent propulsés metteurs en scène alors qu’ils ne possédaient pas tous les codes de l’opéra. Il serait malhonnête de mettre la loupe sur les deux seules verrues de la saison 2022-2023 car globalement, Alexander Neef a su piocher dans le legs avec discernement. Les reprises des productions signées Robert Carsen (metteur en scène iconique de l’Opéra national de Paris) sont à saluer comme le Tristan und Isolde de Peter Sellars/Bill Viola, puissant chef-d’oeuvre esthétique. De l’autre côté du spectre, bien des mises en scène comme celles de La Forza del destino ou de Tosca ont le mérite de l’élégance à défaut de génie.
Le changement, c’est maintenant !
S’il l’on souhaite déceler la personnalité du nouveau directeur de l’Opéra national de Paris, l’on examinera de plus près ses choix de répertoire et de metteurs en scène. Bien que son mentor ait été Gérard Mortier, sa programmation équilibrée fait plutôt penser à une autre figure marquante, Hugues Gall. Avec une balance qui penche légèrement vers l’Italie comme partout ailleurs, toutes les langues et tous les styles sont représentés pour satisfaire les mélomanes en tout genre. Seul un grand opéra russe manque à l’affiche de saison qui comporte pourtant de belles surprises, surtout côté français. Après des années d’absence, Hamlet et Roméo et Juliette (portés disparus depuis 1985) font leur grand retour sur la scène nationale. Les mélomanes francophiles se mettent à rêver plus grand comme dans « Grand Opéra » avec Meyerbeer, Halévy et pourquoi pas, un autre Guillaume Tell de Rossini. Quant aux mises en scène des nouvelles productions, il est sans doute trop tôt pour tirer un bilan, pourtant se dessine comme une volonté de changement dans la douceur. Aux côtés des noms familiers de Deborah Warner (dont on attend avec impatience le Peter Grimes ovationné ailleurs), Robert Carsen (Ariodante), Thomas Jolly (Roméo et Juliette) ou Krzysztof Warlikowski (Hamlet), une nouvelle génération fait son entrée. Lydia Steier (Salome) et Valentina Carrasco (Nixon in China) suivent Netia Jones et ses Nozze di Figaro new look.
Nous nous sommes tant aimés…
Alors que l’épaisseur du carnet d’adresse de Stéphane Lissner était réputée, il serait injuste de reprocher l’absence d’un Jonas Kaufmann réclamé partout. Même si la superstar des ténors ou notre Roberto Alagna national ne sont pas à Bastille ou à Garnier cette saison 2022-2023, d’autres continuent de clamer « I love Paris » comme Anna Netrebko. Moins de bling bling et pourtant, Lisette Oropesa en Ophélie, Jeanine de Bique en Susanna, Clémentine Margaine et Gaëlle Arquez en Carmen, Ludovic Tézier en Hamlet, Benjamin Bernheim en Roméo, Michael Spyres en Don José, René Pape en Sarastro sont des évidences qu’il est heureux de retrouver comme, avec une petite pointe de nostalgie, les noms de Karita Mattila, Renée Fleming et Thomas Hampson. Même pour les grandes stars et après avoir vu des affiches prestigieuses ne pas tenir leurs promesses, le nom compte moins que l’adéquation d’une voix avec un rôle. En scrutant les distributions, l’on peut dire qu’Alexander Neef semble avoir retenu la leçon Régine Crespin ou Annick Massis. Alors que l’exceptionnelle et rare belcantiste triomphait partout ailleurs, l’Opéra national de Paris donnait à d’autres artistes internationales des rôles qu’elle aurait chanté bien mieux ! Faisant fi du snobisme de l’herbe plus verte chez les autres, une pléiade de chanteurs français ont enfin les premiers rôles qu’ils méritent et il est important de le souligner. Malheureusement, la perfection n’étant pas de ce monde, il y a toutefois deux faux pas incompréhensibles. Alors que le Capitole de Toulouse confie à Sophie Koch le rôle d’Isolde, pourquoi l’Opéra de Paris ne lui offre-t-il que Marcellina ? Et enfin, où est Karine Deshayes ? Il convient sans doute de poser la question à Alexander Neef, Directeur général de l'Opéra de Paris qui a déjà entamé un septennat des plus prometteurs.