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Reportage : Festival Filao 2020, un paradis retrouvé !

Le mélomane ne voit toujours pas le bout du tunnel. Et pourtant, dans la nuit noire peut parfois percer une lueur. Au mois de décembre 2020, un Festival de musique classique s’est tenu. CCC a eu la chance d’y assister. Reportage…



Parce que les mélomanes en font l’amère expérience dans le monde entier, il leur serait très facile de disserter sur l’absence de culture et de ses conséquences, à la fois sur l’économie du pays et sur le moral des concitoyens. Depuis de trop long mois, toutes les salles de spectacle, les opéras, les théâtres, les musées, les cinémas et les bibliothèques restent dramatiquement fermés, partout.

Et pourtant, un petit coin de paradis a réussi à accueillir le spectacle et la musique vivante en France, sans enfreindre les lois. Le Festival Filao a pu se tenir miraculeusement en Martinique, du 17 au 20 Décembre 2020. A Saint-Pierre, Fabrice Di Falco, son directeur artistique, a réuni une affiche flamboyante où les noms de Karine Deshayes, Marie-Laure Garnier ou Jeff Cohen entouraient celui de Christiane Eda-Pierre, disparue cette année. Pour cet hommage, la grande soprano martiniquaise n’aurait pu rêver meilleur endroit que la ville de Saint-Pierre qui a reçu autrefois les troupes de renommée internationale sur la scène de son Théâtre (réplique de 800 places de l’Opéra de Bordeaux). Avec l’aide de la Mairie et le concours de généreux sponsors comme lors de la première édition du Festival, son président Julien Leleu a réussi à maintenir l’entière gratuité des spectacles. Dix événements (présentés avec superbe par Fabrice di Falco, pimpant et délicieux maître de cérémonie) ont été programmés durant quatre jours de festivités pour la plus grande joie des Pierrotins et des visiteurs mais aussi de tous les artistes, incroyablement heureux de pouvoir exercer leur métier, l’espace d’un instant.

Jour 1 : L'espoir renaît dans nos âmes

Le Festival Filao s’est ouvert avec la finale Martinique du Concours Voix des Outre-mer comme un enthousiasmant pari sur l’avenir. Le concours a pour but de promouvoir à la fois l’art lyrique et la diversité. Contrairement aux autres institutions, la compétition est ouverte à tous, sans limite d’âge et surtout, tous niveaux techniques confondus. Pour les spectateurs et les membres du jury, c’est une expérience réellement unique qui réserve d’incroyables surprises. Lors de la première édition, une toute jeune candidate qui n’avait jamais entendu parler de chant classique et encore moins d’art lyrique s’est présentée avec une chanson de Beyoncé. La compétition imposant un air d’opéra, la jeune fille a interprété la douce mélodie de Barbarina dans Le Nozze di Figaro de Mozart. Véritable révélation, Livia Louis Joseph Dogué a remporté le prix Jeune Talent et depuis, le conte de fée se poursuit. Lauréate du concours de France 2 Prodiges en 2019, elle se destine maintenant à une carrière de soprano. L’opéra n’attend plus qu’elle, c’est certain !

Concours Voix des Outre-mer (c) Gilles Moisset / Festival Filao

Agés de 14 à 60 ans, huit candidats se sont présentés à la nouvelle finale Martinique, le 17 décembre 2020. A l’issue d’une soirée exaltante, Clémence Hausermann remporte le Prix Jeune Talent à 15 ans, suivant les pas de Livia. Le prix Voix des Outre-mer a été remis à la soprano Moanna Laou qui a interprété un air de Mozart. Rejoignant les lauréats des autres départements d’Outre-mer, les deux artistes représenteront la Martinique lors de la grande finale nationale qui devrait se tenir le 22 janvier 2021 à Paris, à l’Opéra Bastille.

Jour 2 : Au-dessous du volcan

Karine Deshayes, Richard Martet, Fabrice di Falco (c) Gilles Moisset / Festival Filao

Exposé, danse, variété et Bélé étaient au programme du deuxième jour du Festival Filao. Une conférence sur le thème « Volcans et Opéra » s’est d’abord tenue dans la salle de la Mairie de Saint-Pierre présentée par Richard Martet. Le président du jury du Concours Voix des Outre-mer est surtout connu pour être le rédacteur en chef du magazine de référence Opéra Magazine. Les lecteurs et les mélomanes profitant de son érudition et de son évidente passion pour l’Art lyrique ne se doutent pas que le critique musical réputé s’enthousiasme également pour la vulcanologie. Retraçant l’évolution des connaissances scientifiques et, en parallèle, l’utilisation des volcans dans la dramaturgie des ouvrages lyriques, la conférence donnée au pied de la Montagne Pelée a passionné son auditoire comme on l’imagine aisément. Richard Martet a agrémenté son exposé de nombreux extraits musicaux de Lully, Rameau, Pacini ou encore de Félicien David avec Herculanum interprété, entre autres, par Karine Deshayes qui était présente dans la salle.

© Gaspard Ferraty / Festival Filao

La ville de Saint-Pierre porte toujours les traces de l’éruption du 8 mai 1902 qui a fait plus de 30.000 morts, soit dix fois plus qu’à Pompéi. Comme en écho à la conférence, le parvis de la cathédrale (toujours en restauration) a accueilli un spectacle de danse contemporaine avec PaSSaGe(s), une pièce émouvante conçue par Marlène Mirtyl. Pour évoquer la nuée ardente de l’éruption dévastatrice, la chorégraphe de la compagnie Kaméméonite a utilisé une toile de tissu brut dans lequel évoluait sa danseuse aux contorsions esthétiques. Autres effets saisissants, les projections sur le mur de la cathédrale et une bande sonore ont fini de marquer les spectateurs.

Luan Pommier (c) Gilles Moisset / Festival Filao

Pour terminer cette journée intense dans l’allégresse, une double soirée de variété, jazz et de musique traditionnelle a été proposée à l’intérieur. L’époustouflante Luan Pommier, récente finaliste de l’Incroyable Talent sur M6, a subjugué son auditoire avec des reprises de standards comme Imagine de John Lennon et un Hymne à l’amour exceptionnel, en duo improvisé avec Fabrice Di Falco. Dans la deuxième partie, place au Bélé grâce à l’interprétation de Stella Gonis, très en voix. La belle artiste a enthousiasmé jusqu’aux plus réticents qui l’ont accompagnée l’espace de quelques titres en chantant et en frappant dans leurs mains avec bonheur.

Jour 3 : Hommages à Christiane Eda-Pierre

La danse était également présente au programme de la troisième journée du Festival Filao mais abordé sous un angle complètement inédit. En visioconférence, la choréologue Charlotte Siepiora est venue parler de son métier. La jeune femme autrefois danseuse du Ballet Preljocaj, travaille maintenant au sein de la prestigieuse compagnie de l'English National Ballet où sa fonction consiste à coucher sur papier, les chorégraphies comme pour une partition de musique. Malgré quelques soucis techniques, les amateurs de danse ont pu découvrir le système de notation Benesh avec des croquis explicatifs et surtout grâce à une très bonne conférencière, patiente et passionnée.

QCM (c) Gilles Moisset / Festival Filao

Avec un peu de retard, la salle des délibérations de la mairie de Saint-Pierre a ensuite accueilli un concert de musique de chambre, prévu initialement dans les ruines du Théâtre. Les conditions météo trop clémentes avec un soleil de plomb et l’installation manquante ont malheureusement empêché les membres du Quatuor Classique de Martinique de s'y produire. La déception passée, les artistes ont pu rendre hommage à Christiane Eda-Pierre en interprétant des transcriptions d'airs d'opéra, rejoints à l’occasion par les voix de Marie-Laure Garnier et de Fabrice Di Falco. L’ensemble agréablement composé d’un violon, alto, violoncelle et flûte traversière a l’immense mérite de travailler à la plus grande diffusion de la musique classique sur l’île.

© Gaspard Ferraty / Festival Filao

La journée s'est terminée par un événement exceptionnel à plus d'un titre. L'hommage à Christiane Eda-Pierre s'est poursuivi à la cathédrale où Richard Martet a retracé, avec un remarquable talent de conteur, le parcours de la très grande chanteuse d'opéra. Idéalement serti par l’accompagnement impliqué de Jeff Cohen au piano, l'évocation a été ponctuée par des airs interprétés avec une émotion palpable par Karine Deshayes, Fabrice Di Falco et la jeune soprano Livia Louis Joseph Dogué, révélée ici même par le Concours Voix des Outre-mer. La surprise est cependant venue de Mlle Deshayes. La divine mezzo a réservé au public de Saint-Pierre venu nombreux la primeur de deux airs, extraits des Contes d'Hoffmann d'Offenbach et des Nozze di Figaro de Mozart, un véritable cadeau !

 Jour 4 : Le jour des reines

Le Festival FILAO s’est terminé en apothéose avec trois événements qui ont enchanté les nombreux spectateurs de la cathédrale de Saint-Pierre. A cette occasion, la superbe ville d'art et de patrimoine de la Martinique renouait avec son glorieux passé.

Marie-Laure Garnier (c) Gilles Moisset / Festival Filao

La très belle soprano Marie-Laure Garnier a ouvert les festivités de la journée en offrant un éclatant récital intitulé "Life is a Cabaret". Composé avec sa complice de toujours, la brillante pianiste Célia Oneto Bensaid, le programme très intelligemment construit autour des Cabaret Songs de Bolcom était composé d'oeuvres de Poulenc, Weill, Zemlinsky ou encore Gershwin. La soprano est en lice actuellement pour une Victoire de la Musique qui serait amplement méritée tant l'interprétation est intense et inspirée. Le duo d'artistes a offert un très grand moment de musique, notamment ce Youkali de Kurt Weill dont les mélomanes se souviendront longtemps.

Laurence Joseph (c) Gilles Moisset / Festival Filao

La comédie et le rire se sont invités ensuite dans la cathédrale de Saint-Pierre où se sont déroulés tous les spectacles du jour. La pétillante comédienne et humoriste Laurence Joseph a fait, elle aussi, un beau cadeau aux festivaliers en présentant pour la toute première fois le spectacle Caméléon où dans un étourdissant maelström de gags et de réparties, la comédienne a revêtu les habits de personnages hauts en couleur. De la mamie Ernestine, la bimbo Carlita apprentie soprano, l'inénarrable Angie star des réseaux sociaux ou encore le jeune rappeur Kevin, la galerie de portraits est aussi irrésistible que son interprète.

Le Festival a refermé ses portes avec un dernier temps fort. Karine Deshayes a subjugué les spectateurs de Saint-Pierre avec un récital de chant composé de mélodie et d'airs d'opéras autour du thème de l'Amour et de l'Espagne. Accompagnateur hors pair, Jeff Cohen a particulièrement impressionné et notamment à l'occasion de deux morceaux (Tchaikovsky et Debussy) en soliste. Pour le plus grand bonheur des spectateurs présents sur place et devant les écrans internet (où quelques spectacles du Festival sont encore visibles) Karine Deshayes a déployé l'éventail de son immense talent en interprétant avec évidence des pièces où l'émotion affleure et où la voix impressionne avec une conduite absolument exemplaire (époustouflant "Pleurez mes yeux" du Cid de Massenet). Longtemps les mélomanes se souviendront de ce merveilleux bis, A Chloris de Hahn, dédié à tous les amoureux et délicatement susurré à l’oreille des admirateurs de cette très grande dame du chant.

 

Karine Deshayes (c) Gilles Moisset / Festival Filao

La deuxième incroyable édition du Festival Filao s’est refermée avec beaucoup d’émotions pour les artistes et pour les mélomanes dont la vie faite d’art et de musique basculait de nouveau dans l’incertitude. Fabrice Di Falco, Julien Leleu et toutes les équipes autour d’eux ont été les merveilleux artisans qui ont donné le plus doux rêve qu’on puisse avoir sous un ciel azur. La musique vivante a pu reprendre haleine l’espace d’un instant comme une parenthèse enchantée et un magnifique cadeau de Noël. Les spectateurs attendent maintenant avec impatience la troisième édition du Festival Filao avec ses nouvelles surprises, ses artistes et son cadre idyllique... le paradis des mélomanes.