Classique c'est cool

View Original

Tristan à l’agonie à l’Opéra Royal de Wallonie

La nouvelle production de Tristan und Isolde à l’Opéra Royal de Wallonie crée l’événement pour une raison plutôt inattendue. La grande institution belge s’invente une Isolde malgré la première mise en scène de son histoire. Explications…

Tristan und Isolde (Thierry Hellin) © J Berger ORW  Liège

Une douce révolution est en marche à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. En choisissant des œuvres ambitieuses, le directeur général et artistique Stefano Pace voit grand et il a raison de le faire. Tristan und Isolde de Wagner est un absolu chef-d’œuvre que les maisons d’opéra d’importance se doivent d‘afficher régulièrement. Le 28 janvier 2025, l’ouvrage qui représente un tournant majeur dans l’histoire lyrique faisait non seulement un retour sur la scène du Théâtre Royal mais surtout son entrée au répertoire. Aussi étonnant soit-il, depuis la création en 1865, les spectateurs liégeois n’ont eu qu’une seule et unique occasion d’assister à une représentation, en version de concert (le 26 mars 1926 dans le cadre de « Journées wagnériennes »). Monter une nouvelle production de Tristan und Isolde* qui nécessite un plateau vocal hors pair, une mise en scène solide, un orchestre de taille et un chef marquant est un enjeu de taille. Si la volonté de Stefano Pace et de son chef Giampaolo Bisanti de renouer avec le grand répertoire international est claire, celle du metteur en scène l’est beaucoup moins.

Lire ou ne pas lire, telle est la question ?

Tristan und Isolde (Lianna Haroutounian et Violeta Urmana) © J. Berger ORW  Liège

Les mélomanes wagnériens qui connaissent leur Tristan par cœur peuvent se laisser chahuter. Œuvre d’art totale, l’opéra a bouleversé les codes et sa musique, les esprits. Mettre en scène les mots de Wagner est une aventure et un véritable défi pour les hommes de théâtre. En faisant appel aux projections vidéo de Rudy Sabounghi pour décor, Jean-Claude Berutti réussit à installer une atmosphère. Les superbes images de vagues occupant tout le mur du fond, l’on sentirait presque les embruns de la mer entre la Cornouailles et l’Irlande. La présence sur scène d’un homme vêtu de blanc dans un fauteuil roulant du siècle dernier évoquant plutôt Gustav von Aschenbach de La Mort à Venise, l’approche du metteur en scène n’est pas immédiatement compréhensible. Il convient de lire les notes d’intention pour comprendre que « depuis le premier accord jusqu’au dernier du deuxième acte, nous sommes dans les souvenirs de Tristan lui-même ». Cette vision acceptable devient gênante au dernier acte lorsqu’Isolde apparait en infirmière au chevet de Tristan agonisant. Malgré le joli travail de la costumière Jeanny Kratochwil (rappelant l’univers du film de Jane Campion La Leçon de piano), les blouses blanches privent de l’émotion attendue. La mort d’Isolde, en garde-malade, est d’une triste platitude dans cette tentative de transposition qui rappelle trop le système du metteur en scène Dmitri Tcherniakov. L’on préfèrera oublier l’image des docteurs entourant Tristan pour retenir la poésie de certains moments comme lorsqu’un voile noir tombe pour évoquer une nuit à la Paul Delvaux ou encore le frémissement des interprètes investis.

Lianna Haroutounian n’est certainement pas la dernière Isolde

Tristan und Isolde © J. Berger ORW  Liège

En exprimant la souffrance, les tourments et la mélancolie, Thierry Hellin, qui campe le double de Tristan présent dès la première scène, est un acteur accompli. Il aurait sans doute fallu concentrer les regards sur son interprétation pour ressentir l’émotion. Michael Weinius, habitué du rôle de Tristan, est un ténor qui joue néanmoins avec intensité. Son chant droit et parfois frustre lui permet d’affronter les difficultés du troisième acte sans trop d’accidents même s’il manque de séduction pour convaincre dans cet Everest vocal. Une prise de rôle est toujours un moment très important dans la carrière d’une artiste et d’autant plus lorsqu’elle opère un tournant. Habituée au répertoire italien, la soprano Lianna Haroutounian chantait sa toute première Isolde. La prise de risque s’avère payante grâce à la puissance de la voix (parfois même surpuissante) et une technique bien employée pour Wagner. La voix prendra certainement de l’assurance pour oser plus de nuances et de raffinements dans les prochains jours et les futures saisons car il parait assuré que la prise de rôle ne restera pas sans lendemain. L’écriture vocale de Wagner est exigeante pour ses interprètes et il est d’une extrême difficulté de réunir la distribution idéale. Avec des bonheurs divers, Stefano Pace et Giampaolo Bisanti peuvent s’enorgueillir d’avoir choisi Evgeny Stavinsky (Le Roi Marc), Birger Radde (Kurwenal) et même le jeune Alexander Marev (Melot). Plus martial qu’empathique, le noble Stavinsky possède une autorité naturelle dans un timbre fort beau. Fiévreux. Birger Radde projette facilement la voix et habite son personnage tandis qu’Alexander Marev se fait facilement remarquer dans un rôle de fielleux qu’il défend avec panache. Zwakele Tshabalala profite également d’une présence certaine dans les courts rôles du Jeune Marin et du Berger. La grande voix de Violeta Urmana (Brangäne) est alourdie aujourd’hui par un vibrato qui ôte de la poésie au grand trio de l’acte II. Le plaisir vocal a souvent été entaché par les faiblesses de l’orchestre. C’est d’autant plus regrettable que les intentions romantiques de l’ardent chef Giampaolo Bisanti sont lisibles et même louables. Les vents, sans doute encore trop peu aguerris au répertoire wagnérien, peuvent compter sur le soutien des cordes, plus à l’aise, mais les accidents et les décalages sont trop nombreux pour ne pas heurter l’oreille habituée aux grands Wagner. Avec plus de représentations et plus de travail, le rendez-vous est pris pour entendre d’autres opéras allemands car la ville de Liège mérite amplement une belle ambition, celle d’une grande institution belge ouverte sur le monde et sur tous les répertoires.

Tristan und Isolde (Lianna Haroutounian, Michael Weinius et Thierry Hellin) © J. Berger ORW  Liège

*La production de l’Opéra royal de Wallonie-Liège Tristan et Isolde est diffusée en direct le 8 février 2025 sur medici.tv puis sur Mezzo.