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Le monde intérieur d’une grande soprano

Marlis Petersen est une soprano trop rare sur les scènes hexagonales. Aussi lorsqu’un nouveau CD parait, le mélomane énamouré se précipite pour l’écouter. Le programme intense d’Innenwelt le transporte-t-il au septième ciel ? Réponse…

Marlis Petersen - Dimensionen Innenwelt

Certaines voix semblent tombées du ciel comme celle de Marlis Petersen. La belle soprano allemande enchaine les succès en alternant les récitals de mélodie et les prises de rôle sur les grandes scènes d’opéra (elle fut récemment la Salome de Strauss à Munich avec le chef Kirill Petrenko). Les captations CD étant de plus en plus rares, il est heureux de pouvoir découvrir son nouvel enregistrement intitulé Innenwelt. Cette parution (dans les bacs à partir du 18 octobre 2019) clôt la trilogie Dimensionen. Après avoir exploré les tréfonds de l’âme humaine dans Dimensionen Welt, visité l’univers des elfes et des contes de fées dans Dimensionen Anderswelt, l’artiste nous invite maintenant à parcourir les chemins du monde intérieur, celui des rêves et de l’intime.

Au plus profond de la nuit

Comme dans les précédents opus, l’on retrouve dans Innenwelt un programme généreux élaboré en collaboration avec le pianiste Stephan Matthias Lademann avec beaucoup d’intelligence et de pertinence. Le récital s’articule autour de mélodies et de lieder signés entre autres Richard Strauss, Franz Schubert, Johannes Brahms, Hugo Wolf mais aussi Gabriel Fauré ou Reynaldo Hahn. Loin d’être artificielle, la construction en quatre chapitres comme dans un roman (Nacht und Träume, Bewegung im innern, Mouvement intérieur, Erlösung und Heimkehr) propose un moment de réflexion bienvenue.

L’enregistrement offre donc deux lectures possibles, le simple plaisir de l’écoute ou une étude plus approfondie avec les textes. Dans les poésies de Mörike, Eichendorff ou Théophile de Viau, l’art de déclamation de Marlis Petersen est sans doute à son apogée tant chaque mot semble pensé et délivré avec naturel. La diction est exemplaire.

Marlis Petersen s’adonne au Français

Marlis Petersen © Yiorgos Mavropoulos

Comme à son habitude, la soprano a pioché dans un répertoire très connu (Nacht und Träume de Schubert, Après un rêve de Fauré, Traüme de Wagner) ou moins exploité (belles découvertes de Lieder de Hans Sommer, Richard Rössler ou Max Reger) avec cette fois une surprise supplémentaire. Beim Schlafengehen, sans doute le plus beau des quatre derniers Lieder de Strauss, est ici arrangé pour violon et piano par le jazzman Gregor Hübner qui ouvre une perspective inattendue sur le chef-d’oeuvre.

Autre cadeau, Marlis Petersen aborde le répertoire français et offre une interprétation délicate de quelques-unes des plus belles mélodies de Duparc et de Fauré. Après un rêve aurait sans doute pu être encore plus élégiaque mais A Chloris de Reynaldo Hahn est chanté divinement avec une simplicité et un abandon irrésistible. L’énamouré et la Chanson triste réservent également de jolis moments de bonheur comme le sensible Lasst Mich Ruhen de Franz Liszt. Le touché parfois marqué de Stephan Matthias Lademann apporte le contraste nécessaire pour contrebalancer la voix.

Etonnement absent des précédentes parutions, Richard Strauss est un compositeur qui convient admirablement aux moyens vocaux et à la suavité de la soprano avec ses aigus aériens notamment dans Die Nacht captivant ou un Ruhe, Meine Seele, impressionnant. L’on peut désormais rêver d’un enregistrement des quatre derniers Lieder dirigé par exemple par Kirill Petrenko à la tête du Berliner Philharmoniker. En attendant, le mélomane peut jouir du présent en se procurant ce nouveau CD Innenwelt (à paraître chez Solo Musica) chaudement recommandé.