Classique c'est cool

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Saül en scène au Théâtre du Châtelet

Le Théâtre du Châtelet a rouvert cette saison et continue d’entretenir sa légende avec une programmation éclectique. L’opéra est bien présent mais en choisissant un oratorio de Haendel dans une mise en scène de Barrie Kosky, le Châtelet retrouve-t-il tout son faste ? Réponse...  

La généreuse production lyrique de Haendel ne s’arrête pas seulement à ses opéras. Le célèbre saxon a composé un bon nombre d’oratorios au dramatisme intense qui supportent aussi bien les mises en scène. Comme pour Semele, le livret de Saül possède une intrigue linéaire avec enjeux psychologiques et rebondissements théâtraux. Il fallait toutefois un homme de théâtre, une troupe de chanteurs acteurs et un ensemble orchestral ad hoc pour donner chair à la fable biblique ayant pour héros David, Jonathan, le roi Saül et ses filles. C’est ce cocktail réussi que sert le Théâtre du Châtelet jusqu’au 31 janvier 2020, dans sa salle entièrement rénovée, renouant ainsi avec son prestige.

Régime demi Saül

Saül - TCE © Patrick Berger

Le 21 janvier, soir de première, quelques éléments auraient pu venir jouer les trouble-fêtes. Un changement d’interprète fait partie du quotidien des maisons d’Opéra mais lorsqu’il s’agit du rôle-titre, pivot de la scénographie, peu de solutions s’offrent à elles. Christopher Purves était bien sur scène pour jouer le rôle de Saül mais depuis la fosse, une autre basse (Igor Mostovoi) lui prêtait sa voix. Même si le dispositif n’était pas idéal pour l’homogénéité du son, l’on sait gré au comédien d’avoir maintenu sa participation scénique car il compose de façon spectaculaire, un personnage sournois en proie à la folie. La mise en scène physique de Barrie Kosky s’appuie en bonne partie sur le langage des corps. Effet saisissant, les chanteurs intègrent des interjections et des cris expressifs qui soulignent leurs emportements dans une savante économie de décor. Les couleurs vives des costumes et du buffet orgiaque de la première partie répondent au noir profond de la guerre, au troisième acte. Le contraste s’appuie aussi sur l’agitation des danseurs (agréable et distrayante chorégraphie d’Otto Pichler) face au statisme de David, touché par la grâce de Dieu. La battue efficace de Laurence Cummings (à la tête des Talens Lyriques et du chœur, impeccables), les nombreux détails sur scène et quelques touches d’humour font passer les 3h15 de spectacle à toute vitesse. Usant d’images magnifiques (les moments d’étreintes, émouvants comme une Pietà), Barrie Kosky s’offre le luxe d’une deuxième lecture symbolique en truffant sa mise en scène de références bibliques comme les coups de Jonathan et la nudité honteuse d’un Saül mangeur de pomme qui rappellent les deux péchés de la Genèse. L’évolution des personnages de Saül et David passe aussi par leurs vêtements.

Le potentiel érotique de David

Saül - TCE © Patrick Berger

Prostré sur la tête de Goliath au réalisme digne de Ron Mueck, David apparaît torse nu et couvert de blessures pour finir immaculé dans le costume de Saül. Christopher Ainslie impose une présence tout à la fois diaphane et puissante. Son timbre de voix qui peut rappeler celui d’un James Bowman fait merveille dans l’air O Lord, whose Mercies numberless où l’aigu tenu est d’une pureté enivrante. Comme devant Terence Stamp dans Théorème, tout le monde succombe, la fille cadette Michal en tête. Anna Devin déploie beaucoup de fantaisie dans ce rôle incarnant les airs charmants pourtant pas toujours les plus intéressants. Remplaçant le ténor prévu sur scène, David Shaw dans le rôle de Jonathan (explicitement l’amant de David dans la mise en scène poignante de Kosky) possède bien des attraits mais la voix manque encore de projection pour marquer réellement. Chantant l’ambigu Saül à demi enterré dans la fosse d’orchestre, Igor Mostovoi est un talent à suive avec une assurance vocale remarquée malgré l’acoustique défavorable. Seule à ne pas être sensible aux charmes de David, Merab (la fille ainée) est particulièrement gâtée par la partition de Haendel qui lui réserve des airs véhéments et élégiaques.

Même si la grande beauté vocale s’est légèrement ternie, Karina Gauvin reste une artiste attachante et une haendélienne de grande classe, désormais plus Agrippina que Semele. Deux autres personnages méritent que l’on s’y attarde comme l’incarnation malaisante de la sorcière d’Endor par John Graham-Hall ou le trublion chanté par Stuart Jackson. A la fois drôle et inquiétant, le ténor virevoltant dans son rôle de fou du roi endosse plusieurs personnages. Il est comme un trait d’union dans cette remarquable production made in Festival de Glyndebourne qu’il faut absolument découvrir. Les parisiens qui sont passés à côté du Prince Igor de Bastille ont une nouvelle chance d’applaudir le travail accompli de l’un des meilleurs metteurs en scène d’opéra actuels.