Providentiel retour de Fortunio à l’Opéra Comique
Le mélomane habitué de la Salle Favart à Paris sait bien que les nouvelles productions s’y enchaînent avec succès. Il sait également que les reprises y sont rares mais qu’elles ne sont pas programmées sans de très bonnes raisons. Explications...
Il est rare qu’Olivier Mantei, brillant directeur de l’Opéra Comique à Paris, propose des reprises de spectacle Salle Favart. Et pourtant, sur l’impulsion du chef Louis Langrée, il a décidé de donner une nouvelle vie à Fortuniod’André Messager, à l’affiche depuis Jeudi 12 décembre 2019. Le nom du compositeur est intimement lié à l’histoire de l’institution car Messager en fut le directeur musical de 1895 à 1904 (on lui doit notamment la création de Pelléas et Mélisande de Debussy). En redonnant Fortunio, l’Opéra Comique qui exhume son patrimoine avec discernement et l’entretient passionnément, confirme l’importance de son rôle.
Nouvelles nuances de gris
Créée en 2009, la production classique de Denis Podalydès, célèbre Sociétaire de la Comédie-Française, avait laissé le joli souvenir d’une mise en scène soignée et élégante. Dix ans plus tard, rien ne semble avoir changé et pourtant tout est différent ! Les décors un peu grisous d’Eric Ruf et les superbes costumes début de siècle de Christian Lacroix sont-ils mieux éclairés ? En tout cas, ils semblent être mis en valeur. En homme de théâtre, Podalydès a apporté beaucoup de soin aux détails du livret d’Alfred de Musset afin de mettre en lumière le raffinement plutôt que la grivoiserie. Moins frivole, le personnage du militaire coureur de jupon Clavaroche gagne en complexité. L’évolution du sentiment entre Jacqueline, femme adultère et Fortunio son timide prétendant se vit comme une très belle histoire d’amour. Le metteur en scène est au diapason du chef d’orchestre. Très impliqué à la tête de l’Orchestre des Champs-Elysées, Louis Langrée retrouve une partition qu’il fait vivre comme personne avec brillant, tout en finesse. La musique de Messager ainsi interprétée révèle ses nombreux charmes et devient vite irrésistible.
Un cocu magnifique
Du côté des chanteurs, le baryton Franck Leguérinel explose dans le rôle de Maître André, le cocu de l’affaire. Toujours truculent dans les emplois de caractère, il est heureux de l’entendre cette fois avec une partie vocale plus développée où il est tout simplement excellent. Curieusement, Jean-Sébastien Bou accuse parfois quelques faiblesses dans Clavaroche. Le personnage de cavaleur est magnifiquement campé mais la voix s’éteint parfois, sans raison apparente. Comme celui de Landry (tenu à l’origine par Jean Périer, le créateur de Pelléas), la comédie lyrique de Messager offre de nombreux seconds rôles, de qualités assez hétérogènes dans la distribution de 2019. Sans avoir les moyens encore d’incarner le héros de Debussy, Philippe-Nicolas Martin se fait néanmoins agréablement remarquer dans Landry tout comme Aliénor Feix. La voix de la mezzo lui permet d’exister dans le rôle de la soubrette Madelon. Le jeune talent se place même sur la liste des découvertes à suivre de près.
Le rôle de sa vie
Outre le plaisir de se délecter de la musique de Messager et de la mise en scène de Denis Podalydès, on soupçonne qu’une des raisons majeures de la reprise de Fortunio réside dans le couple formé par Anne-Catherine Gillet et Cyrille Dubois déjà à l’affiche du Domino Noird’Auber, un autre grand succès de Comique. Moins évident qu’il n’y paraît, le rôle de Jacqueline qui sollicite les aigus mais aussi le medium (surtout dans l’acte II) représente un défi que la soprano relève sans difficulté. La comédienne est bien là même s’il sera intéressant de suivre l’évolution de son jeu, surtout après ce soir de première où les notes devaient être, sans nul doute, le souci premier. Dans la carrière d’un ténor, il arrive parfois que l’adéquation avec une partition soit d’une telle évidence que l’on puisse évoquer le « rôle de sa vie » ! C’est le cas ici avec Cyrille Dubois qui ne fait qu’un avec Fortunio. La célèbre chanson « Si vous croyez que je vais dire qui j'ose aimer », est un exemple de beau chant et d’intelligence dramatique où la densité du jeu égale l’expression vocale. L’artiste force l’admiration.
Malgré le climat ambiant à Paris, nous vivons une belle époque à l’Opéra Comique où de splendides voix sont capables de rendre justice à un répertoire injustement délaissé. En cette période de Noël, la reprise de Fortunio est un très beau cadeau que nous offre la Salle Favart.