Classique c'est cool

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Mirga Grazinyte-Tyla et Menahem Pressler, l’affiche intergénérationnelle du Philadelphia Orchestra

Comme la cerise sur le gâteau, un concert du Philadelphia Orchestra clôt de manière magistrale la tournée américaine de CCC. Mozart et Mahler servis par une jeune femme et un vieux monsieur nous font voir « bigger than life ». Explications… 

Mirga Grazinytė-Tyla © Frank Jansen - Menahem Pressler © Marco Borggreve

Lors d’un séjour musical sur le continent nord-américain, faire l’impasse sur un concert classique au Verizon Hall de Philadelphie serait un loupé regrettable. Non seulement la grande salle moderne de l’impressionnant Kimmel Center est superbe mais surtout, elle accueille les concerts de l’un des plus grands orchestres actuels : le Philadelphia Orchestra. Il fait partie des « big five », les cinq formations historiques des Etats-Unis (avec les New York Philharmonic, Boston Symphony Orchestra, Chicago Symphony Orchestra et Cleveland Orchestra). Yannick Nézet-Séguin, son directeur musical depuis 2012, a eu l’excellente idée de proposer une série de concerts à Mirga Grazinytė-Tyla qui dirige pour la première fois à Philadelphie.

Ce 10 février 2018, la jeune cheffe déjà bien connue des mélomanes pour être l’une des rares femmes à la tête d’une grande formation symphonique (le City of Birmingham Symphony Orchestra) a confirmé son excellente réputation. Elle a débuté la représentation par quelques mots pour évoquer le centième anniversaire de l’indépendance de son pays, la Lituanie. Elle a également présenté l’illustre soliste du concerto pour piano No. 23, K. 488 de Mozart, programmé en première partie de concert. A peine moins âgé que la Lituanie, Menahem Pressler a lui aussi eu quelques mots touchants pour l’orchestre avec qui il a débuté 70 ans plus tôt. Il a également évoqué Leonard Bernstein, Mozart et Dieu…

Le concert lumineux d’un artiste au crépuscule de sa carrière

Sa prestation est hors du commun. Bien sûr, à 94 ans la vélocité n’est plus la même mais l’artiste avec son jeu joliment perlé fait tout de suite oublier sa condition pour nous plonger dans la musique. Mozart est également admirablement servi par Grazinytė-Tyla avec ampleur et une articulation bien dessinée. Menahem Pressler a joué l’adagio, l’une des plus belles pages jamais écrites par Mozart, comme une évidence : simple, beau et épuré. Sans aucun effet de manche, il nous a transporté dans une autre dimension, celle de l’émotion pure. L’interprétation du Nocturne No. 20 de Chopin joué par le vieux maître en bis devrait servir d’exemple aux pianistes, toutes générations confondues. 

En deuxième partie, Mirga Grazinytė-Tyla a fait preuve elle aussi d’une maîtrise impressionnante dans la symphonie No. 4 de Mahler, avec un geste sûr et très précis. Le Philadelphia Orchestra répond à chacune de ses intentions dans l’acoustique idéale du Verizon Hall qui permet de jouir de l’opulence de son son dont la beauté est légendaire. Dans le premier mouvement, la cheffe varie subtilement les tempos par vagues successives pour mettre en relief chaque mesure. Dans le deuxième, elle accentue très intelligemment le côté expressionniste. Le début du troisième nous laisse en complète apesanteur grâce à la douceur et une superbe respiration de l’ensemble. La lumière revient dans la salle pour le dernier mouvement. La soprano Janai Brugger possède un timbre fruité qui sied bien au Lied final, toutefois peu incarné.

Avant d’offrir une standing ovation, le public captivé aura contenu son émotion jusqu’à la toute fin nous permettant de profiter de la note bleue. Il y a parfois des concerts qui sortent de l’ordinaire. En nous plaçant au-delà des préjugés sur le sexe ou l’âge, celui-ci s’est transformé en une formidable expérience humaine.