Résurrection exemplaire d’Orphée et Eurydice à l'Opéra Comique
Le mélomane qui court les salles de spectacle du monde entier peut parfois jouer les blasés en se rendant à la énième représentation d’un chef-d’œuvre comme Orphée et Eurydice de Gluck. L’Opéra Comique apporte le remède infaillible à la snob attitude avec la plus belle des réponses. Explications…
Orphée et Eurydice de Gluck a les faveurs du public parisien. A l’Opéra national de Paris, on ne compte plus les reprises du spectacle chorégraphié par la grande Pina Bausch. Après quelques versions de concert notables et la production très réussie de Robert Carsen au Théâtre des Champ-Elysées la saison dernière, c’est au tour de l’Opéra Comique de mettre à l’affiche le chef-d’œuvre de Gluck (depuis le 12 octobre 2018).
A l’annonce du programme 2018, la Salle Favart avançait déjà bien des atouts avec une distribution de haut vol. Nous étions loin d’imaginer que la mise en scène d’Aurélien Bory allait apporter autant à cette œuvre que les mélomanes connaissent pourtant par cœur. C’est un véritable raz-de-marée d’émotions qui a submergé les spectateurs à la fin de la représentation.
La réussite est quasiment totale. Il serait criminel de dévoiler les éléments de la scénographie conçus avec Pierre Dequivre car la soirée réserve beaucoup de surprises. Disons, sans trop en révéler, qu’un immense miroir occupe entièrement le cadre de scène et permet ainsi aux artistes d’évoluer également dans les airs, avec effets garantis. Grâce à l’intervention mesurée de circassiens, le personnage d’Amour peut s’envoler et Eurydice adopter une démarche d’ectoplasme. Avec des références à foison (dont la superbe utilisation de la toile de Corot), une poésie folle se dégage du dispositif pourtant très simple. Grâce à cette savante économie de moyen, des images virtuoses inoubliables envoûtent comme par pure magie.
Raphaël Pichon invoque les esprits de Gluck et de Berlioz
Une mise en scène n’assure pas seule la réussite d’un opéra. Le jeune chef Raphaël Pichon poursuit un parcours sans faute. Comme à son habitude, il transforme en or tout ce qu’il touche. La version retenue est celle de 1859 remaniée par Berlioz pour la mezzo Pauline Viardot. Sur instruments préclassiques, l’Ensemble Pygmalion ose les roulements de tambours et les contrastes saisissants avec un éventail de sonorités qui évoquent toute l’Europe musicale du XVIIIe. Dans le même esprit que celui du célèbre compositeur romantique, Pichon va chercher une cohérence dramatique en utilisant comme ouverture le beau Larghetto final du ballet Don Juan de Gluck. En optant pour une fin dramatique (pas de deuxième résurrection pour Eurydice), il fait corps avec le propos du metteur en scène qui semble citer Cocteau et le mythe de l’éternel retour.
Marianne Crebassa ressuscite Pauline Viardot et Jean Marais
Arborant la même blondeur platine que Jean Marais et Madeleine Sologne, le couple mythique est incarné par Marianne Crebassa dans le rôle d’Orphée et par Hélène Guilmette. Annoncée souffrante, cette belle Eurydice possède la musicalité requise mais sans doute gênée également par le Pepper's ghost (le grand miroir barrant la scène), la voix se projette moins.
Aucun problème en revanche pour Lea Desandre qui impose son beau mezzo velouté dans le rôle d’Amour, lui offrant même un supplément d’âme inédit. Elle évolue avec un naturel déconcertant dans l’exercice des circassiens. Il suffit à Marianne Crebassa de chanter les premières notes déchirantes d’Orphée pour que l’artiste explose dans ce rôle, une discrète androgynie faisant le reste. Malgré quelques sons tubés, elle domine sans difficultés l’air redoutable « Amour vient rendre à mon âme… » se payant même le luxe d’un a cappella. La prononciation des trois héroïnes est parfaite, qualité qui manque bizarrement au chœur pourtant idéal de Pygmalion.
Avec ce nouvel Orphée et Eurydice, la Salle Favart qui nous a pourtant habitué aux grandes réussites vient de surpasser les attentes avec une production à marquer d’une pierre blanche, fût-elle tombale pour rester dans le thème !