Le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui traîne ses danseurs dans la boue à Wolfsburg
Le Movimentos est l'un des festivals les plus excitants du moment. A une heure de Berlin, les anciennes usines de Wolgswagen à Wolfsburg accueillent chaque saison depuis 2003 les chorégraphes et les compagnies les plus en vues.
Le cadre est déjà impressionnant. Au milieu de la grande salle des machines se dressent les échafaudages des gradins habillés par des lumières bleu. L'on pénètre dans un univers mécanique métamorphosé spécialement pour l’occasion en une superbe salle de spectacle branchée. La programmation est à l'image de ce lieu contemporain, à la fois moderne et élégante. Elle a permis cette année d'applaudir Angelin Preljocaj, le Nederlands Dans Theater 1 ou Sidi Larbi Cherkaoui, un habitué des lieux qui a reçu en 2007 le Movimentos Award.
Icon fait ses premiers pas hors de Göteborg
L’ingénieux chorégraphe belge est venu cette saison avec la GöteborgsOperans Dansompani et Eastman sa propre compagnie, présenter un double programme qui a clos le Festival de danse, ce samedi 20 mai 2017. Noetic, le spectacle créé en 2014 avait déjà fait l’objet d’une tournée. Icon en revanche, faisait ici ses premiers pas hors de l’Opéra de Göteborg, lieu de sa création en octobre 2016. Avec un univers futuriste pour le premier et primitif pour le second, les deux spectacles forment un diptyque naturel où Sidi Larbi Cherkaoui déploie l'éventail de son immense talent. Le travail du chorégraphe se renouvelle sans cesse. Le multiculturalisme est dans ses gènes mais le plus admirable est sans doute sa capacité à s'approprier les nombreuses influences pour toujours créer un univers qui lui est propre.
Que ce soit avec le Ballet de l'Opéra national de Paris ou les danseurs de tango dans Milonga, le travail présenté est in fine du Cherkaoui, reconnaissable entre tous. Complexité et fluidité du mouvement, contorsion des membres et des mains, sont quelques-uns des marqueurs que l’on aime à retrouver mais le plus étonnant est que l’on franchit une nouvelle étape à chaque nouveau spectacle. Dans Noetic, le savant mélisme des corps que l’on admirait déjà se fait plus virtuose encore. De cinq danseurs coordonnés dans les premiers spectacles du chorégraphe, l’on est passé maintenant à une vingtaine. Et puis il y a ces moments suspendus. Ces corps sans vie mus par le groupe gardent une légèreté et une grâce presque divine. A la sophistication des mouvements de Noetic répond le geste plus tribal de Icon. Les danseurs se servent des plaques d’argile comme d’un partenaire, le malaxant ou s’en couvrant pour créer des accessoires ou des masques.
Sidi Larbi Cherkaoui, profond, iconoclaste et pertinent
Dans ces spectacles, Sidi Larbi Cherkaoui interroge le monde et interpelle les consciences, notamment avec les danseurs (tous formidables) qui usent de leur voix avec une scansion qui reste encore de la danse. Les messages de Icon sont peut-être plus confus que dans Noetic mais l’on n’oublie pas les images fortes, cercles dansants et corps renversés ou ensevelis… ou encore dans Noetic, celle incongrue d'un homme qui traverse la scène en talon aiguille et dans Icon, ce danseur qui se modèle le visage comme des masques vivants du théâtre Nô. Ce sont autant de décalages ludiques et de pastilles légères ou profondes qui nourrissent le propos.
En abordant des sujets graves comme la déshumanisation de nos sociétés, notre tendance à l’idolâtrie et à l’avilissement, Sidi Larbi Cherkaoui ne perd jamais de vue de nous divertir et c'est peut-être sa plus grande force car il nous plonge plus facilement encore dans une émotion intense. Le final de Noetic est puissant avec cet homme figé au centre d'une planète qui entame un décompte. Dans Icon, ces humains assis comme des nus de Flandrin, pensant, pleurant, absents… nous laissent un souvenir impérissable.