Patricia Petibon, perfide et sublime Manon d’Olivier Py à l’Opéra Comique
Une fois de plus l’Opéra Comique suscite l’intérêt en programmant un chef-d’œuvre du répertoire français. Pour Manon de Massenet, il a fait appel à une équipe gagnante. La soprano Patricia Petibon et le metteur en scène Olivier Py sont-ils géniaux, une fois de plus ? Réponse…
Cela deviendrait presque une habitude. La Salle Favart crée une nouvelle fois l’événement en programmant Manon de Massenet, le grand chef-d’œuvre du genre opéra-comique et du répertoire lyrique français. En coproduction avec le Grand Théâtre de Genève où le spectacle a été créé en septembre 2016, la première a eu lieu à l’Opéra Comique ce mardi 7 mai 2019 après avoir été accueilli à l’Opéra National de Bordeaux, le mois dernier.
Dans la fosse, Les Musiciens du Louvre dirigés par Marc Minkowski, l’actuel directeur général de l’institution bordelaise, ont été dignes d’éloges. Le grand chef ose les contrastes avec ce sens du théâtre et des atmosphères qu’il est sans doute le seul à savoir exacerber avec autant de maîtrise. Il a à sa disposition une distribution d’artistes francophones non seulement exceptionnelle mais exemplaire. Rendant le surtitrage souvent superflu, leur diction leur permet de jouer avec un naturel rarement atteint.
Patricia Petibon entre Lulu et Manon
Familière du rôle et de la mise en scène, la palme revient sans doute à Patricia Petibon qui trouve dans l’acoustique de Favart l’écrin parfait pour sa voix. Même si l’on a connu des Manon plus opulentes, elle excelle dans l’émotion retenue et livre une nouvelle prestation inoubliable. Après plusieurs collaborations, l’entente évidente entre la soprano et Olivier Py est devenue alchimie. Les admirateurs du travail du metteur en scène savent qu’avec beaucoup d’adresse et un brin de provocation, il est de ceux qui donnent de la profondeur à l’intrigue en offrant plusieurs niveaux de lecture. En plaçant la courtisane de Massenet et de l’abbé Prévost dans l’univers du music-hall et des paillettes, il souligne l’attrait du clinquant de l’héroïne qui intègre un bordel dès son arrivée. Manon y perd son ambigüité et pourtant le personnage gagne une aura, celle des filles perdues, une morte en devenir comme une cousine de Lulu. Dans l’outrance (le Cours-la-Reine) ou le dépouillement (Saint-Sulpice), les décors et les costumes de Pierre-André Weitz avec une vulgarité choisie impressionnent car ils participent à l’action.
Un couple de légende
L’émotion explose dans le dénuement d’un simple éclairage notamment lors des duos avec le comte Des Grieux. Il suffit d’une phrase à Laurent Alvaro pour incarner l’humanité de son personnage avec un art du chant accompli. Jean-Sébastien Bou campe un Lescaut magnifique avec toute la roublardise que lui permet cette mise en scène. Comme lui, Guillot de Morfontaine et De Brétigny prennent une vraie consistance en étant chantés par des voix et des personnalités marquées comme celles de Damien Bigourdan, ténor de caractère et Philippe Estève, solide baryton. Le trio de courtisanes (Olivia Doray, Adèle Charvet et Marion Lebègue) est en léger retrait mais la partition ne lui offre que peu d’opportunité de se détacher vraiment.
Enfin dans le magnifique rôle du chevalier Des Grieux, Frédéric Antoun se montre à la hauteur des espérances. Le timbre plutôt sombre du ténor convient à merveille pour incarner un héros plus acteur que soumis mais avec une douce fragilité. Nouveau venu dans cette production, il se fond parfaitement dans l’univers d’Olivier Py et forme avec Patricia Petibon un couple de chanteur aux voix particulièrement bien assorties.
Les occasions de voir Manon à l’opéra sont assez rares et même uniques lorsqu’elles réunissent comme à l’Opéra Comique une distribution d’une si haute volée.