Il Trovatore à l’Opéra Bastille, consécration des grandes voix
Pour Il Trovatore de Verdi, les mélomanes exigent les meilleurs chanteurs. Après une reprise moyenne au Metropolitan Opera de New York, l’Opéra national de Paris ferme-t-il cette saison en apothéose ? Réponse…
Il Trovatore est un titre majeur du répertoire lyrique. Chaque grande maison d’opéra se doit de proposer ce Verdi populaire aux mélomanes toujours friands. Après le Deutsche Oper de Berlin ou le Metropolitan Opera plus tôt dans la saison, c’est au tour de l’Opéra national de Paris d’offrir aux spectateurs du monde entier une reprise de la production signée Àlex Ollé (La Fura dels Baus). Créée pour Amsterdam en 2015, la mise en scène a été vue pour la première fois à l’Opéra Bastille en 2016. Ce mercredi 20 juin 2018, nous avons assisté à sa quinzième représentation avec une distribution presque entièrement renouvelée.
La renommée d’une grande maison d’opéra se construit en grande partie sur la qualité du plateau vocal. Le pari semble toujours un peu fou surtout concernant Il Trovatore. Comme bon nombre d’opéras de Verdi, il est impératif de réunir les quatre meilleurs chanteurs du moment pour rendre justice aux célèbres arias, duos et trios. Il reste en revanche quasi impossible de faire l’unanimité sur les mises en scène, les attentes du public étant devenues presque contradictoires. Les défenseurs de la « tradition » avec costumes d’époque et grands décors s’opposent frontalement aux progressistes amateurs de théâtre et aux avant-gardistes. Àlex Ollé se situe dans un entre deux.
Le synopsis est respecté dans un décor de monolithes en ascenseur qui permettent les changements de lieux. Il offre de très belles images même si nous sommes en guerre (l’action est transposée autour des années 40 avec des costumes ad hoc). Les soldats rudoient une population en errance qui remplace les bohémiens. Point d’enclume dans le "Vedi le fosche notturne" mais des scènes de foules joliment rendues grâce au chœur de l’Opéra national de Paris à son meilleur. Le travail de José Luis Basso porte ses fruits et hisse aujourd’hui la formation aux premiers rangs. L’on admire toujours les sonorités brillantes de l’orchestre livré à la baguette plus routinière que vraiment inspirée du chef Maurizio Benini. Sans nuance, il joue Verdi à plein. Les amateurs de grande musique apprécient.
Opéra national de Paris vs Metropolitan Opera de New York : and the winner is…
Également aguerri au répertoire, le quatuor de chanteurs a délivré une prestation qui lui a valu une rare standing ovation. Contrairement au public américain, les spectateurs de l’Opéra Bastille décollent modérément leur fessier du fauteuil pour acclamer les artistes. Hasard des critiques, après New York, dans le rôle d’Azucena l’on retrouve Anita Rachvelishvili. La mezzo nous avait alors grandement enthousiasmé. À Bastille, elle nous subjugue. Avec le même art des nuances, la voix a encore gagné en volume, notamment dans son duo avec Manrico où elle lâche un « Il figlio moi… » d’anthologie, proprement hallucinant. Dans le rôle du Trouvère, Marcelo Álvarez (déjà entendu ici en 2016, aux côtés d’Anna Netrebko et de Ludovic Tézier) rencontre plus de difficultés notamment dans les airs « Ah si, ben moi » haché et « Di quella pira » bien court. La voix est toujours vaillante et l’aigu brillant mais les efforts pour l’atteindre sont désormais visibles.
Le legato ne pose aucun problème au baryton Željko Lučić. Avec un timbre moelleux, il compose un Conte di Luna régulier mais comme Mika Kares (pâle Ferrando), il peine à rendre le rôle marquant. Il faut dire que face à lui, Sondra Radvanovsky incarne une Leonora incandescente qui vampirise la scène. La soprano possède des moyens vocaux exceptionnels, un style et une grâce qui rendent son interprétation tout bonnement exemplaire. Lors de la scène finale de chaque côté de la scène, soprano et mezzo couchées chantent pianissimo, comme si de rien n’était... Sondra Radvanovsky et Anita Rachvelishvili sont les atouts majeurs de cette reprise gagnante d’Il Trovatore à l’Opéra Bastille. Pour la leçon de chant, les amateurs de grandes voix verdiennes auraient tort de manquer cette reprise (en veillant toutefois à éviter le cast B où l’on retrouve Jennifer Rowley, tout autre Leonora).