Le Komische Oper de Berlin ébranle Edimbourg avec Eugene Onegin
Malgré les menaces du Brexit, le meilleur de Berlin peut encore se produire sur les terres écossaises. En invitant la troupe du Komische Oper, l’excellent Edinburgh International Festival frappe un grand coup. Explications…
Alors qu’une foule d’Ecossais et de spectateurs venus en masse se bouscule dans les rues d’Edimbourg pour assister à une des très nombreuses représentations du Fringe (le festival de théâtre off), il semblerait presque incongru de se rendre à l’opéra, ce soir du 17 août 2019. Et pourtant, parallèlement au grouillant événement de l’été, le prestigieux Edinburgh International Festival (le in) accueille sur la scène du Festival Theatre une production d’Eugene Onegin de Tchaikovsky mise en scène par un grand homme de théâtre. Barrie Kosky, l’actuel directeur du Komische Oper de Berlin fait partie du cercle restreint des artistes les plus en vue sur la planète lyrique.
Un regard neuf dans le respect de la tradition
Entrée au répertoire de la célèbre scène berlinoise en 2016, la production invitée à Edimbourg est à la hauteur de la réputation du metteur en scène. Barrie Kosky jette un regard respectueux sur l’œuvre de Tchaikovsky avec des costumes fin-de-siècle qui évoquent Les Dames de la côte.
Plongé dans une brume admirablement éclairée, le décor représente une clairière que l’on imagine non loin de la villégiature où est supposée se dérouler l’action. Avec intelligence, l’homme de théâtre tisse la toile du drame grâce à un travail minutieux avec les chanteurs/acteurs tous excellents comédiens. Il sait rendre comme rarement les tourments adulescents de la jeune Tatiana. Le début de la fameuse scène de la lettre est chanté dos au public qui ne voit alors que les mains de l’héroïne se tordre dans tous les sens signe de son émoi profond au moment de sa déclaration. Des nombreuses images fortes et inoubliables s’enchaînent dans une tension de chaque instant comme avant la scène du duel avec Lensky et Onegin complètement ivres.
A la tête de l’orchestre du Komische Oper, la direction d’Ainars Rubikis est souvent délicate et raffinée et ose le romantisme ardent ou parfois même quelques sécheresses comme dans une valse convaincante qui retrouve ses accents slaves. Toujours convaincant, le chef est un partenaire attentif au dialogue avec son plateau vocal. Le chœur y est remarquable aidé sans doute par la mise en scène qui permet à chacun de jouer sa propre participation théâtrale.
De la pluie et des larmes
L’esprit de troupe se ressent aussi chez les solistes avec des seconds rôles particulièrement bien distribués à commencer par le Gremin de Dmitri Ivashchenko qui interprète son air simplement et très dignement. Nounou à la forte personnalité, Margarita Nekrasova éclipse quelque peu Liliana Nikiteanu dans le rôle de la mère. Seule Karolina Gumos peine à caractériser vocalement son rôle (Olga) mais joue mieux qu’elle ne chante. Oleksiy Palchykov, ténor solide qui incarne son amoureux Lensky a su déjouer les pièges de son air Kuda kuda exécuté avec émotion.
Dans le rôle-titre, le timbre séduisant de Günter Papendell suffirait à caractériser son personnage mais l’art du baryton se double d’une présence physique très forte qui répond en tout point à la personnalité de sa partenaire. La soprano Asmik Grigorian est une évidence dans le rôle de Tatiana. Sur scène, sa prestation qui fait oublier la prouesse technique est un petit miracle de véracité. A croire que la jeune femme se transforme sous nos yeux. Tous deux arrachent les larmes et c’est sous la pluie que les héros malheureux échangent un dernier baiser d’une rare intensité.
En programmant cette parfaite réussite, l’Edinburgh International Festival prouve, s’il le fallait, son excellente politique artistique et confirme sa position de leader parmi les festivals du Royaume-Uni.