Erwin Schrott, l’incarnation de Don Giovanni au Théâtre des Champs-Elysées
Quand le splendide baryton-basse Erwin Schrott revient à Paris dans les habits de Don Giovanni, c’est la langue pendante que le mélomane accourt. Le séducteur a-t-il encore fait des ravages ? Réponse…
Les mélomanes reconnaissent à juste titre le baryton-basse Erwin Schrott comme le meilleur Don Giovanni actuel mais le comédien a plus d’une corde à son arc. Dans le cadre de l’excellente série des Grandes Voix, ce jeudi 10 janvier 2019 à Paris, les spectateurs du Théâtre des Champs-Elysées ont eu la bonne surprise de découvrir non pas une version de concert comme annoncée mais une mise en espace du chef-d’œuvre de Mozart, réglée par Schrott lui-même. Devant l’orchestre et sans décor, les participants en élégant costume de ville se sont livrés au jeu avec la sincérité de la scène, laissant l’imagination faire le reste.
Loin d’être anecdotique, ce travail nous renseigne sur la vision actuelle du chanteur qui possède une maîtrise absolue du rôle, osant les apartés parlés. Avant l’incarnation attendue cet été au Théâtre antique d’Orange, son Don Giovanni promène sa désinvolture avec une roublardise et un charme qui font fondre le public. Vocalement souverain, il attaque l’air du champagne à vive allure avant de séduire avec un « Deh vieni alla finestra » d’anthologie. Les spectateurs ne sont pas près d’oublier cette façon unique qu’il a de humer l’odor di femmina ! L’incarnation est parfaite.
En 2019, Zerlina n’a plus peur d’affronter Don Giovanni
Même si, charisme aidant, Erwin Schrott occupe toute la scène, ses acolytes ne sont pas laissés dans l’ombre. Dans le rôle de Zerlina, Giulia Semenzato est une évidence et même une révélation. Plus séductrice que victime, la jeune soprano rivalise d’intelligence et de beauté vocale. Face à ce naturel, le Masetto bien chanté de David Steffens (qui incarne aussi Il Commendatore) manque un peu de relief. Ruben Drole pourtant familier du rôle, n’est pas la basse bouffe attendue pour le valet Leporello. Néanmoins ses dons d’acteur lui permettent de surmonter les quelques difficultés de la tessiture.
Avec un petit ballon en forme de cœur en main, son numéro de pantomime face à Donna Elvira est hilarant. Dans le rôle de la femme délaissée, la voix de la soprano Lucy Crowe accuse quelques duretés qui conviennent assez à la véhémence de la partition. Curieusement, son fameux air « Mi tradì quell'alma ingrata » a été coupé comme le final « Ah, dov' è il perfido », sans doute pour resserrer le drame. Le ténor Benjamin Bruns a fort heureusement conservé les deux sublimes arias de Don Ottavio pour faire une démonstration de beau chant (surtout « Il mio tesoro intanto » au tempo juste).
Les tourments de Donna Anna bouleversent
La direction de l’excellent chef baroque Giovanni Antonini était attendue mais globalement, elle laisse une impression en demi-teinte. Les sonorités du Kammerorchester Basel sont fort belles mais des attaques résolument franches et la direction souvent brutale n’ont laissé que rarement place à la sensualité. Le tempo très lent de « Dalla sua pace » peut créer un fort contraste avec un « Finch'han del vino » survolté sans pour autant construire une vision cohérente de la partition. La grâce est venue du plateau vocal avec ses oppositions. Julia Kleiter, soprano aux multiples facettes a été une Donna Anna exemplaire. Avec une superbe voix droite et bien timbrée, la comédienne concernée possède une légère retenue qui donne à son personnage une classe folle, opposée au trublion Don Giovanni. Ses tourments sont profonds avec la constante noblesse du beau chant.
L’année 2019 s’ouvre sur une belle réussite et laisse envisager le meilleur pour les Chorégies 2019 avec une distribution différente mais toujours au centre, l’exceptionnelle incarnation d’Erwin Schrott, le Don Giovanni de sa génération.