Classique c'est cool

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Deshayes/Haidan mezzos fortissimos à Nice

En pleine période de vaches maigres, le mélomane s’enthousiasme immédiatement lorsqu’il retrouve l’ambiance d’un festival, la musique vivante, les concerts, les artistes, ses amis et le public. A-t-il pour autant perdu son sens critique ? Réponse...

Karine Deshayes et Delphine Haidan © Jean-Baptiste Millot

Le monde des arts et de la culture est plongé depuis quelques mois dans un chaos déroutant obligeant les artistes et les organisateurs de concert à s’adapter. Les mélomanes quant à eux se sentent privilégiés lorsqu’ils peuvent glaner un moment de musique vivante. Cet été, pour le plus grand bonheur de tous, quelques festivals ont pu se tenir comme le Nice Classic Live avec ce dimanche 9 août 2020, une affiche exceptionnelle. 

Modigliani à l'ombre de Matisse

© DR / 2018 Quatuor Modigliani

Depuis qu’elle a repris les rênes de l’Académie Internationale d’Eté de Nice, la célèbre pianiste Marie-Josèphe Jude, directrice artistique du Festival depuis trois ans, a insufflé une nouvelle vie en proposant des affiches pertinentes et de très grande qualité. Contraintes sanitaires obligent, les concerts se sont déroulés en plein air, sur une nouvelle scène montée pour l’occasion devant le Musée Matisse. A l’ombre des oliviers du jardin des Arènes de Cimiez, les spectateurs en partie masqués ayant assisté au premier concert en fin de journée ont pu apprécier l’élégance du Quatuor Modigliani dans un programme Haydn et Mozart.

L’ensemble a choisi de s’illustrer dans deux chefs-d’œuvre de la musique de chambre, le Quatuor « Les Quintes » de Haydn et le Quintette avec clarinette de Mozart. La légère et discrète sonorisation n’aura pas altéré les sonorités joliment expressives dans Haydn. Dans Mozart, en phase avec le clarinettiste Pierre Génisson, les musiciens ont opté pour un tempo plutôt enlevé dans un Allegro sans mélancolie. La clarinette se fond au Quatuor Modigliani dans le Larghetto délicat qui manque peut-être d’une touche d’abandon pour provoquer l’émotion suprême. Quelques à-coups dans le Menuetto permettent une expressivité qui trouve de belles résonances dans l’Allegretto final. En bis, le deuxième mouvement du Quintette de Brahms est venu clore ce beau moment de musique.

Karine Deshayes et Delphine Haidan en plein clair-obscur

Le temps pour les organisateurs de procéder à la désinfection des lieux, le deuxième concert de la soirée pouvait démarrer dans une ambiance tout à fait sereine car les mélomanes avaient rendez-vous avec « Deux mezzos sinon rien ! ». Sous le ciel de Nice désormais étoilé, Karine Deshayes et Delphine Haidan ont rendu un très bel hommage à Mady Mesplé (disparue en mai dernier) en construisant un programme spécial, présenté avec grand talent par Jean-Michel Dhuez. Les extraits bienvenus des Contes d’Hoffmann ou de Lakmé sont venus raviver le souvenir de la soprano qui a été professeur de l'Académie de Nice dans les années 80. Les mélodies et Lieder de Liszt, Gounod, Hahn ou Delibes nous ont rappelé la grande récitaliste qu’elle a été, osant très souvent les créations contemporaines. Delphine Haidan (accompagnée par Pierre Génisson à la clarinette et Jeff Cohen au piano) a d’ailleurs ouvert le concert avec la Vocalise No. 1 extraite d’Hommage à Matisse, composé par Eric Montalbetti en 2019. Les voix des deux mezzos se sont ensuite unies dans le remarquable In der Nacht (extrait des Spanisches Liederspiel de Schumann) dans un clair-obscur de pure beauté.

Karine Deshayes et Delphine Haidan © A.Giraudel.

Le timbre plus brillant de Karine Deshayes se marie avec naturel et évidence à celui de Delphine Haidan. Les deux artistes assurément complices ont su se faire comédiennes en incarnant d’irrésistibles Schwestern de Brahms. Pour les accompagner, il fallait un merveilleux pianiste comme Jeff Cohen dont on ne cesse d’admirer la précision et la délicatesse. Le vent espiègle qui est venu taquiner ses partitions a offert un moment unique de connivence avec le public. Grâce aux interventions et aux témoignages des artistes qui se sont tous magnifiquement illustrés, une intimité s’est installée petit à petit métamorphosant le récital en un moment suspendu dans le temps. A ce titre, A Chloris de Reynaldo Hahn a été exemplaire. Avec cet art consommé de la mélodie et une technique souveraine, Karine Deshayes nous donnant l’impression qu’elle ne chantait que pour nous, nous a fait absolument tout oublier.