Un exceptionnel Billy Budd conquiert les cœurs au Teatro Real de Madrid
Soixante-six ans ! Le public madrilène aura attendu tout ce temps pour découvrir pour la première fois le chef d’œuvre de Benjamin Britten. Créé au Royal Opera House de Londres le 1er décembre 1951, l’opéra intimiste Billy Budd se fait plus rare à l’affiche que Peter Grimes par exemple (l’autre grand chef-d’œuvre du compositeur anglais étant trois fois plus joué). Le nouveau spectacle de Deborah Warner était d’autant plus attendu qu’il a été monté en coproduction avec trois autres grandes salles européennes (Finnish National Opera d’Helsinki, Teatro dell’Opera de Rome et Opéra national de Paris). La représentation de ce 22 février 2017 a fort heureusement fait l’objet d’une captation vidéo car la production est une totale réussite.
Une mise en scène d’une grande finesse
Le décor minimaliste de Michael Levine fait principalement de cordes, de cabestans et de trappes impressionne tant il suggère parfaitement l’univers marin. La toute première image qui évoque le célèbre tableau de Caillebotte est saisissante. Comme les raboteurs de parquet, les hommes torse-nus ondulent formant des vagues avec, perdu à l’avant-scène, le personnage du Capitaine Vere. Ainsi posté, il peut alors dérouler son récit et le théâtre ne quittera plus la scène. La grande metteuse en scène Deborah Warner use d’une extrême finesse psychologique pour dessiner ses personnages. Elle est entourée par une troupe de chanteurs acteurs tous incroyablement impliqués, jusqu’au moindre figurant. Le chœur du Teatro Real est digne de louanges. Beauté sonore et grande subtilité accompagnent chacune de leurs remarquables interventions. On ne retrouve pas autant de raffinements à l’orchestre mais le chef Ivor Bolton sait créer les atmosphères et rend justice à l’écriture dramatique de Britten en maintenant une tension tout du long.
Jacques Imbrailo, Billy Budd incarné
L’action est somme toute peu présente dans Billy Budd, opéra surtout construit autour de confrontation de caractères. En l’absence de voix féminine, la distribution vocale en grande partie anglo-saxonne est idéalement différenciée et chaque personnage existe. Thomas Oliemans (Mr. Redburn) et David Soar (Mr. Flint) sont de solides officiers, Sam Furness (Novice) et Francisco Vas (Squeak) ambigus à souhait. On retient également la prestation émouvante de Clive Bayley (Dansker) ou celle de Duncan Rock (Donald), un Billy Budd sur d’autres scènes. L’attention est bien évidemment portée sur le trio Billy/Vere/Claggart. La voix de Brindley Sherrat a la noirceur nécessaire pour camper un John Claggart pervers mais elle reste trop monolithique pour laisser passer l’ambiguïté. L’homosexualité latente du personnage est clairement énoncée mais pas franchement assumée sur scène. L’interprétation de Toby Spence dans le rôle central du capitaine Edward Fairfax Vere est humble, profonde et déchirante. Il forme un duo parfait avec Billy Budd. Chacune de leurs confrontations est un grand moment de théâtre. Jacques Imbrailo est tout simplement inoubliable. Le jeu naturel de l’acteur est confondant surtout doublé d’une prestation vocale au même exceptionnel niveau. Billy Budd incarné, le baryton sud-africain nous a offert une prestation rare qui fera date. Il ne reste plus qu’à espérer que les reprises de cette production exemplaire se feront avec les mêmes artistes pour que le miracle se reproduise.