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Le Berliner Philharmoniker à Dresde, nouvelle page d’Histoire

Le Berliner Philharmoniker et le Kulturpalast de Dresde, un orchestre et une salle de légende qui n’ont pourtant que rarement été associés. A l’invitation du prestigieux Dresdner Musikfestspiele, le mélomane pouvait-il décemment rater l’événement ? Compte-rendu...

Berliner Philharmoniker © Oliver Killig

Avec un opéra et une salle de concert de tout premier plan, Dresde est une destination incontournable pour les mélomanes et pour tous les amateurs d’art grâce à sa richesse culturelle enviable. Aux beaux jours, la ville accueille le Dresdner Musikfestspiele, un événement d’importance car le prestigieux Festival propose des affiches qui réunissent toujours les plus grands artistes. Depuis cinq ans, l’institution déborde de son calendrier d’été en proposant une série de concerts remarquables, les Palastkonzerte der Dresdner Musikfestspiele, ce vendredi 21 février 2020, l’événement était de taille. Sur la scène du Kulturpalast, rien de moins que l’un des plus célèbres orchestres au monde s’est produit sous la direction de son nouveau directeur musical. Kirill Petrenko à la tête du Berliner Philharmoniker a proposé un programme inédit avec des œuvres de Stravinsky, Zimmermann et Rachmaninov composées entre 1940 et 1950, un pari osé.

L’absence d’un concerto où brillent généralement les solistes internationaux ne constitue pas la réelle surprise de ce concert, les mélomanes étant habitués à sortir des schémas traditionnels. En revanche, choisir trois œuvres telles que la Symphonie en trois mouvements, Alagoana et les Danses Symphoniques traduit une volonté d’échapper à un parcours banalisé (surtout en cette année Beethoven). Très applaudi dès son entrée sur scène, Kirill Petrenko attaque les rythmes saccadés de la symphonie de Stravinsky avec franchise et saisit d’emblée son auditoire. L’œuvre permet à chaque pupitre de dérouler un tapis sonore d’une exceptionnelle beauté, surtout interprétée comme ici avec un jeu infini de nuances et une effervescence ondoyante. La direction au cordeau donne toutefois l’impression remarquable d’une totale liberté. Peterenko souligne avec intelligence la petite touche d’ironie souvent présente dans les œuvres néo-classiques de Stravinsky. The Rake's Progress sera-t-il dirigé un jour par le chef de génie ? On peut le souhaiter ardemment !

Kirill Petrenko apporte de la tension

Kirill Petrenko © Chris Christodoulou

2020 est une grande année Beethoven mais pas seulement. Bernd Alois Zimmermann, compositeur allemand lui aussi, s’est donné la mort le 10 août 1970, il y a 50 ans tout juste. Sa musique cloue littéralement les spectateurs médusés par cette violence expressionniste comme lors de la découverte de son opéra Die Soldaten que Kirill Petrenko a déjà dirigé à Munich. Même si Alagoana semble être une des œuvres les plus facilement abordables de Zimmermann, il fallait oser les grandes phrases de la partition construites sur les accidents et les déflagrations. La filiation avec le Stravinsky du Sacre paraît évidente. Ici encore, le chef maîtrise à la perfection les ruptures de ton, les citations de musique brésilienne et surtout cette grande montée implacable vers un abîme, d’un effet saisissant. En instillant une tension de chaque instant et sans jamais forcer l’orchestre, il captive et mène la musique jusqu’à l’horreur avec à la fois un parfait naturel et une délicatesse insoupçonnée. Du très grand art ! A la fin de cette première partie, les applaudissements fournis ont rendu le plus bel hommage à la fois au compositeur et à ses interprètes.

Le Berliner Philharmoniker transporté

Sans doute composées à la même époque, les Danses Symphoniques de Rachmaninov n’ont pas dû attendre pour s’imposer à l’affiche des orchestres internationaux (il est toutefois permis de trouver l’œuvre moins passionnante). Avec une gestuelle assez économe, de nouveau Kirill Petrenko transporte les membres de son merveilleux orchestre qui semblent s’amuser à jouer littéralement. Avec une déconcertante facilité, le Berliner Philharmoniker empoigne les partitions comme aucun autre orchestre au monde dans un hédonisme de chaque instant, une beauté des sons, un lyrisme dans la précision et une parfaite entente entre des pupitres toujours à l’unisson. La lecture passionnante du Rachmaninov est à la fois fouillée et d’une saine évidence, le plus exceptionnel restant sans doute que la personnalité affirmée du chef d’orchestre s’y fait entendre comme s’il avait toujours été le directeur musical de l’ensemble. Capable d’enfler les sons puis de passer à un simple soupir, il semble fusionner avec ses musiciens.

Certains événements entretiennent la légende, d’autres continuent de la construire. Ce concert marquait la quatrième venue du Berliner Philharmoniker à Dresde, qui jouait dans la salle du Kulturpalast rénovée pour la toute première fois. Il a reçu une longue standing ovation doublée par les applaudissements des membres de l’orchestre en direction de leur chef. Inoubliable !