Andris Nelsons et le nouveau Chostakovitch à Boston
Il y a des évidences. L’affinité entre le chef Andris Nelsons et le compositeur Dmitri Chostakovitch en fait partie. Aussi, lorsque le chef à la tête d’un très grand orchestre (le BSO) s’attaque à la symphonie No. 14, œuvre sombre et poignante, les mélomanes traversent l’Atlantique jusqu’à Boston pour entendre ça ! Compte-rendu…
La ville de Boston possède de nombreux atouts touristiques mais pour le mélomane, le Symphony Hall qui accueille les concerts du Boston Symphony Orchestra suffit à motiver le voyage. Depuis quelques saisons, la vie culturelle s’en enrichit grâce à la venue d’un nouveau chef principal d’envergure, Andris Nelsons. Mozart et Chostakovitch se sont partagé l’affiche du concert du samedi 3 février 2018, dans l’acoustique de légende du Symphony Hall.
Après une période de flottement (pendant trois ans l’orchestre n’a eu que des chefs invités), la belle formation a retrouvé avec panache sa place dans le cercle restreint des meilleurs orchestres des États-Unis où l’éclectisme et la diversité des programmes sont des marques de fabrique. Les frimas de l’hiver sont venus négligemment perturber la première partie de la représentation, les organisateurs ayant pris le soin d’annoncer que Nelsons ne dirigerait pas la Sérénade No. 10 K. 361, « Gran Partita » à cause d’un rhume. Précaution superflue car les spectateurs habitués savent que la partition de Mozart a été écrite pour les vents et que la présence d’un chef n’est pas vraiment nécessaire.
Les interprètes, solistes aguerris ont porté haut la divine musique avec beaucoup de professionnalisme. Le célèbre adagio leur a permis de déployer un éventail de beaux sons parfaitement maîtrisés. Les phrases jouées plus resserrées, la musique aurait sans doute gagné en émotion mais la démonstration reste digne des grands ensembles internationaux. L’andante a été magnifiquement défendu par les clarinettistes (William R. Hudgins et Thomas Martin) qui se sont abandonnés à l’esprit mozartien, l’espace d’un instant. L’interprétation a valu aux artistes, une standing ovation offerte par un public ravi.
Andris Nelsons, un architecte de la musique
Les critiques étaient plus particulièrement venus entendre la symphonie No. 14 de Chostakovitch dirigée par Andris Nelsons qui a entrepris depuis quelques saisons un cycle, fort heureusement immortalisé au disque par Deutsche Grammophon. La soprano Kristine Opolais (Madame Nelsons à la ville) et la basse Alexander Tsymbalyuk (qui remplaçait Bryn Terfel au calendrier trop chargé) assuraient les parties vocales de cette œuvre hybride.
En effet, Chostakovitch prenant exemple sur Das Lied von der Erde de Mahler a écrit une suite de mélodies sur des poèmes de Federico Garcia Lorca, Guillaume Apollinaire, W.K. Küchelbecker et Rainer Maria Rilke. Alors qu’il était gravement malade, le compositeur obsédé par la mort a signé un chef-d’œuvre que pourtant peu d’orchestres osent proposer. La symphonie qui compte habituellement onze mouvements a été dominée de bout en bout par le chef Andris Nelsons, fascinant. Dès la toute première mesure, il a installé une tension qui ne s’est jamais relâchée. Les cordes magnifiques ont d’ailleurs offert une variété de couleurs remarquable. L’œuvre est considérée dans son ensemble.
Nelsons comme un architecte, jette une arche sur laquelle il construit son propos. Les numéros s’enchaînent avec fluidité et intensité. Le spectateur happé n’aura que deux brèves pauses pour reprendre ses esprits. Le Boston Symphony Orchestra est somptueux (avec une mention spéciale au violoniste solo). A l’inverse du Mozart, il parle à chaque instant, n’illustre pas la musique mais la vit. La soprano Kristina Opolais très investie reste cependant légèrement en deçà, la voix peinant à s’épanouir sauf dans « Le suicide » dominé de bout en bout. La basse Alexander Tsymbalyuk très éloquent, est dans son élément car toutes les mélodies sont chantées en russe. La voix est solide et passe parfaitement dans la superbe acoustique du Symphony Hall. Tous deux sont des instrumentistes qui se fondent dans la vision de Nelsons qui a offert à Boston (et bientôt au reste des mélomanes grâce au disque) une interprétation qui compte parmi les plus abouties de la symphonie No. 14 de Chostakovitch.