Un Berlioz nommé Jésus à la Côte-Saint-André
La Côte-Saint-André est un lieu de pèlerinage sur les traces du grand Berlioz qui y est né. Le Festival qui porte fièrement son nom, se doit de ne présenter que le meilleur. Y est-il parvenu avec le plus grand succès du Maître ?
En cette période d’euphorie sportive, la France a vraiment de quoi s’enorgueillir. La ferveur présente un peu partout se ressent également au concert car les grandes gloires du passé sont elles aussi toujours présentes pour susciter l’enthousiasme. Figure incontournable de la culture française, Hector Berlioz possède très logiquement son Festival, situé à la Côte-Saint-André, lieu de naissance du plus grand compositeur romantique. Sous l’impulsion de Bruno Messina, le rendez-vous est, depuis quinze ans, l’un des plus importants événements culturels de la fin de l’été, avec une succession de concerts prestigieux où l’on croise les plus grands artistes en quinze jours, soit sensiblement la même durée que des JO. Sans lien direct avec les sports olympiques, le thème de l’édition 2024, « Une jeunesse européenne », semblait cependant faire écho au dynamisme des artistes et à la vivacité d’une Œuvre sans cesse revisitée. Le 30 août 2024, L’Enfance du Christ a réuni, sur la scène du Château Louis XI, plusieurs générations d’artistes.
Prélude à l’après-midi d’un Berlioz
Les festivals offrent souvent des moments hors du temps. Bien souvent portés par l’engouement des bénévoles et des équipes artistiques, ils sont une parenthèse enchantée où, malgré le prestige des affiches, il semble tout naturel de croiser les artistes à l’issue du concert ou au détour d’une rue. En prélude au rendez-vous du soir, la programmation a permis d’applaudir deux musiciennes de renom dans le cadre intime de la jolie église romane de la Côte-Saint-André. Le généreux récital de Stéphanie-Marie Degand et Marie-Josèphe Jude, 100% romantique, regroupait la fameuse Sonate à Kreutzer de Beethoven et la non-moins célèbre sonate de César Franck avec la Romance No. 1 de Clara Schumann, pause enchantée entre les deux chefs-d’œuvre. Les attaques franches du violon de Stéphanie-Marie Degand répondent à l’emportement tout romantique du piano de Marie-Josèphe Jude, même si la bonne acoustique de l’église, sans trop de réverbérations, est plus favorable aux cordes. César Franck trouve les interprètes à leur meilleur avec cet indicible esprit franco-belge bien transmis. Une certaine raideur dans le jeu de la violoniste sert d’architecture à l’ensemble où, paradoxalement, un vent de liberté souffle sur les mouvements enflammés. Le Franck est sans doute plus envoûtant qu’éclatant, avant un allegro explosif comme il se doit. En bis, la Méditation de Thaïs a fini de ravir les spectateurs.
Les Anglais, médaille d’or des jeux de Berlioz
L’extrait de l’opéra de Massenet a permis une douce transition avec un autre chef-d’œuvre proposé le soir, dans le cadre impressionnant de la cour du Château Louis XI. Les mélomanes qui se rendent pour la première fois à la Côte-Saint-André peuvent être impressionnés par l’infrastructure de ce qui s’apparente à une majestueuse salle de concert à l’acoustique parfaite. Festival Berlioz oblige, ses chefs-d’œuvre sont régulièrement à l’affiche avec le meilleur du meilleur, justifiant la venue de Paul McCreesh. Le chef anglais, fondateur des Gabrieli Consort and Players, est un grand spécialiste de la musique baroque qui a abordé naturellement les partitions de Berlioz. Depuis des Troyens événementiels au Théâtre du Châtelet en 2003, l’on sait l’apport des baroqueux anglais qui ont osé les passerelles avec les musiques d’avant. Il est toujours amusant de rappeler le désamour des spectateurs parisiens pour Berlioz qui a dû faire ses preuves à l’étranger (Belgique, Allemagne, Londres ou Saint-Pétersbourg) avant de connaître son premier vrai succès critique et publique dans son propre pays à 50 ans passés, avec L’Enfance du Christ en 1854.
Depuis 1854, un succès qui ne se dément pas !
Même si la partition de cette trilogie sacrée pour solistes, chœur, orchestre oscille entre narration et musique sacrée, McCreesh a délibérément choisi le versant oratorio cherchant surtout à mettre en avant les beautés vocales et orchestrales de la partition. Nombreuses sont les pages où le chœur du Forum National de la Musique (NFM) de Wrocław excelle. En réussissant à rendre naturelle une prosodie pourtant compliquée pour des non-francophones, Lionel Sow, à la préparation, prouve une fois de plus qu’il est un fantastique chef de chœur. La diction de Neal Davies est plutôt bonne pourtant le baryton-basse, dans le rôle d’Hérode, passe à côté des nuances et de la profondeur de son air « Ô misère des rois » où l’histrion a pris la place du monarque. Son collègue Ashley Riches est plus naturel dans le court rôle du père de famille. L’ensemble de la distribution est d’ailleurs digne d’éloges avec en tête, Laurence Kilsby. Le jeune ténor, déjà remarqué à l’Opéra-Comique, confirme tout le bien que l’on pense de lui. Une magnifique ligne vocale lui permet l’équilibre parfait entre la narration et le beau chant dans ses interventions, trop courtes ! Dans les rôles de Marie et Joseph, la mezzo-soprano Anna Stephany et le baryton Benjamin Appl possèdent également bien des charmes. À la tête de l’orchestre philharmonique du Forum National de la Musique de Wrocław, la direction éthérée de McCreesh qui évite les contrastes et les attaques musclées, ne leur permet pas d’exister en tant que personnages. Reste une pureté et une beauté de chaque instant qui arrive à convaincre même si l’on préfère son Berlioz plus théâtral. Les voix, le solo orchestral des flûtes et de la harpe comme le chœur final nous ont facilement permis d’atteindre le paradis berliozien de la Côte-Saint-André.