Le Festival d’Aix fête le retour d’Ulysse et renoue avec le succès
Le Festival d'Aix-en-Provence est assurément le rendez-vous estival incontournable des mélomanes qui doivent bien choisir le lieu et la date pour éviter les déceptions ! Avec le Monteverdi 2024, ont-ils visé juste ? Réponse…
Après une saison anniversaire un peu décevante en 2023 (année des 75 ans), le Festival International d'Art Lyrique d'Aix-en-Provence renoue avec ses fondamentaux en proposant Il ritorno d’Ulisse in patria de Monteverdi. Le 20 juillet 2024, la troisième représentation d’une nouvelle production signée Pierre Audi, actuel Directeur général du Festival, a marqué le retour de Leonardo García Alarcón à la tête de son équipage, la Cappella Mediterranea. Le chef d’orchestre argentin est actuellement l’un des grands spécialistes du compositeur crémonais qu’il a défendu ici même à deux reprises, en 2022. Cet opéra au Théâtre du Jeu de Paume clôt en apothéose la trilogie des grandes œuvres lyriques de Monteverdi, après la version de concert de L’Orfeo et la production remarquée de L’Incoronazione di Poppea par Ted Huffman.
Les interprètes physiquement prêts pour les jeux
Avec son ensemble énergique et des musiciens qui rivalisent de beautés, Leonardo García Alarcón a choisi le « tout orchestre » et une partition qui dresse un pont avec les opéras qui vont suivre, rappelant au passage que Monteverdi est l’un des tout premiers créateurs du genre ! Comme Mozart, le compositeur a tissé un lien particulier avec les festivaliers d’Aix, plutôt gâtés par les dernières productions. Même s’ils gardent en mémoire L’Incoronazione récente ou celle de Klaus Michael Grüber dirigée par Marc Minkowski, Ulisse n’est pas en reste avec le succès remporté par Adrian Noble et William Christie. La mise en scène datant de 2000 (avec une reprise en 2002), il était temps de retrouver le mythique héros grec dans un nouveau costume et l’on comprend facilement ce qui a pu séduire Pierre Audi. Après avoir mis en scène Les Troyens, les Iphigénie de Gluck, Médée ou encore Orphée et Eurydice, le Directeur général qui a repris sa casquette d’homme de théâtre pour l’occasion, n’a plus à prouver ses affinités avec la mythologie. Sa mise en scène efficace offre avant tout un catalogue d’images épurées. Le monde des dieux est nettement séparé de celui des humains par un néon descendant des cintres. Les costumes de Wojciech Dziedzic laissent deviner les corps masculins des artistes, plutôt en forme olympique. Perdue au milieu de cet aréopage viril, Pénélope adopte une pose hiératique qu’elle ne quittera qu’à la toute fin de l’opéra quand elle tombera, enfin, dans les bras de son époux Ulysse. Après un prologue toujours un peu bavard, le premier monologue de l’héroïne campée par la mezzo Deepa Johnny souffre d’un statisme qui semble définir le personnage. Le contraste est saisissant avec l’arrivée d’Ulysse, sauvé des eaux.
Un héros en pleine santé et un prétendant vaillant !
L'incarnation de John Brancy est renversante. Remarqué ici-même au Théâtre du jeu de paume la saison dernière dans Picture a day like this de Georges Benjamin, le baryton déploie sa voix puissante et colorée pour livrer une interprétation incandescente. Deepa Johnny possède un timbre chaud et enveloppant qui convient au rôle de Penelope même si le jeu de scène n’atteint pas le même niveau que celui de son époux de théâtre. La cohérence et surtout l’homogénéité de la distribution n’en est en rien déséquilibrée car l’ensemble des chanteurs est assez remarquable. Melanto et son amant Eurimaco, deux personnages de la cour, sont distribués à Giuseppina Bridelli habituée au répertoire baroque et Joel Williams, ténor corsé qui comme sa partenaire possède une réelle présence dans ces rôles secondaires. Même si l’on ne comprend pas tout à fait son costume de pestiférée, Iro, personnage bouffe, est interprété par Marcel Beekman qui s’en donne à cœur joie avec même une dose d’impertinence vocale. Le parasite de la cour tourmente le berger Eumete, ancien compagnon déclassé du roi d’Ithaque. Mark Milhofer interprète ce personnage avec sensibilité et noblesse. Comme de coutume, plusieurs rôles sont tenus par les mêmes chanteurs. Ainsi Milhofer est également Jupiter entouré de Neptune et Miverve. Le soprano délicat de Mariana Flores sied bien à cet emploi avec un respect du style monteverdien. Alex Rosen est un Neptune sonore qui impose facilement son personnage avec des moyens vocaux transcendés par l’acoustique idéale du Théâtre du Jeu de paume. La basse offre un visage et des couleurs vocales complètement différentes lorsqu’il incarne l’un des prétendants de Penelope. Avec John Brancy, il est sans doute l’une des figures marquantes de cette production. Dans le rôle de Telemaco, Anthony León se hisse au même niveau d’excellence que ses partenaires avec un timbre élégant et beaucoup de douceurs qui procurent une jolie émotion surtout lorsque le fils retrouve son père. Un jeune talent à suivre… Petr Nekoranec que l’on a récemment applaudi en David de Charpentier et Paul-Antoine Bénos-Djian complètent avec grand talent une distribution de luxe. Grâce à une production réussie et des chanteurs de très haut niveau, le Festival d’Aix côtoie l’Olympe en plaçant son Ulisse sur les marches du podium.