Clémence soit rendue au Festival d’Aix et à Mozart
Deux événements en version de concert étaient particulièrement attendus au Festival d’Aix 2024. L’un d’eux ayant été annulé, Mozart, sa Clemenza di Tito et ses grands interprètes sont-ils parvenus à sauver le Festival ? Eléments de réponse…
Que serait un Festival d’Aix sans Mozart ? Le divin compositeur s’est penché sur le berceau de la manifestation lors du premier rendez-vous avec un Così fan tutte passé depuis dans la légende de l’opéra. Les mélomanes ont redécouvert ici en 1948, le chef-d’œuvre quasi oublié en France. En 2023, soixante-quinze ans après sa création, le Festival International d'Art Lyrique d'Aix-en-Provence a connu la déconvenue d’une production anniversaire ratée. Le 21 juillet 2024, Mozart a fait son retour en majesté, non pas dans la cour de l’Archevêché mais au Grand Théâtre de Provence, avec La Clemenza di Tito en version de concert. Pour renouer avec le succès, les organisateurs, semble-t-il, n'ont pas misé sur une mise en scène décalée mais sur une distribution des plus attractives.
Raphaël Pichon en résidence au Grand Théâtre de Provence
Depuis quelques saisons, les mélomanes ont pris l’habitude de scruter les distributions des opéras en version de concert avec gourmandise. Aix 2023 annonçait Lisette Oropesa, Anita Rachvelishvili ou Jonas Kaufmann (qui n’est finalement pas venu) tandis que 2024 a fait miroiter des Vêpres Siciliennes de Verdi en français avec Marina Rebeka et John Osborn (qui a finalement été annulé) et cette Clemenza mozartienne. De même, les grands noms de la scène internationale étaient attendus dans un luxe que chacun espère lorsqu’il se déplace à Aix, capitale estivale absolue de l’art lyrique. La tentative de mise en espace très discrète de Romain Gilbert aura mis en lumière l’éclairagiste Cécile Giovansili Vissière (sculptrice des ambiances) sans pour autant remplacer une vraie mise en scène. « Prima la musica e poi le parole », le soir de l’unique représentation, l’on ne savait plus où donner de la tête et des oreilles en voyant sur scène Pene Pati, Karine Deshayes, Marianne Crebassa, Lea Desandre, Nahuel Di Pierro, Emily Pogorelc et Raphaël Pichon. A la tête de son ensemble Pygmalion, le chef est un habitué de la capitale de Provence qu’il fréquente au printemps comme en été. Après une remarquable Messe en si de Bach au Festival de Pâques, il fait les beaux soirs de la saison 2024 avec une production inédite de Samson de Rameau. Mozart fait également partie de l’ADN du chef, l’un des meilleurs de sa génération et sans nul doute le plus captivant aujourd’hui. Dès l’ouverture, il s’empare de la partition pour servir un Mozart à la fois énergique et raffiné. La délicatesse de la musique est soulignée par des nuances délicates et des pianissimos envoûtants sans pour autant desservir le théâtre. Les mélomanes connaissent leur Mozart fin psychologue et l’on sait gré à Pichon de traduire en musique et à merveille les atermoiements de ses personnages.
La Clemenza et ses interprètes titanesques
Moins populaire que les opéras de la trilogie Da Ponte, La Clemenza di Tito souffre sans doute d’un livret plus conventionnel et pourtant, que de beaux héros et d’airs à succès ! Le dernier ouvrage de Mozart offre aux chanteurs une partition flamboyante où chacun peut briller. Nahuel Di Pierro (Publio, le capitaine de la garde) fait résonner son seul air en y apportant un supplément d’âme grâce à sa voix bien timbrée qui ravit toujours. La jeune Servilia (sœur de Sesto, le patricien romain personnage central) est subtilement chantée par Emily Pogorelc qui possède un bel aigu piano. Son amoureux Annio, incarné par Lea Desandre, possède plus de maturité vocale. Moins exposée qu’à l’habitude dans le rôle de l’ami du héros, la mezzo développe des trésors de beauté et de raffinement dans son air « Torna di Tito a lato », qui parait bien trop court ! A l’applaudimètre, Marianne Crebassa en Sesto est la grande triomphatrice de la soirée et considérant l’exceptionnelle tenue de l’ensemble, frise l’exploit. Elle a fait sien le rôle avec une aisance vocale et scénique admirable. Avec la pleine maîtrise de ses moyens vocaux, l’artiste se montre à son apogée dans le grand air « Parto, parto, ma tu, ben mio » à peine interrompu par le bruit de l’explosion d’un projecteur. Seules les vocalises étaient en mitraillette lors de la représentation où une autre superbe artiste française a su tirer son épingle du jeu dans le rôle de Vitellia, à la tessiture assassine. Mozart a mis quelques embuches dans sa partition que l’incandescente mezzo Karine Deshayes enjambe avec toute la science de son art comme dans ses aigus dardés ou ses graves maîtrisés. Une autre musicienne tout aussi remarquable est à saluer, Nicola Boud, ayant admirablement accompagné deux grands airs à la clarinette ou au cor de basset à l’avant-scène, aux côtés des chanteurs. Comme avec la Vittelia de Karine Deshayes, Tito était une prise de rôle pour Pene Pati. Peut-être moins familier de l’univers mozartien que sa comparse, le ténor a néanmoins fait sienne la partition avec quelques effets de démonstration que des moyens vocaux assez phénoménaux lui permettent. Un travail sur la vocalise lui offrira sans nul doute d’être un très grand Tito. Un festival doit savoir créer l’événement pour se différencier. En choisissant l’excellence, le Festival d’Aix renoue avec le succès et écrit même avec cette Clemenza di Tito, une nouvelle page de sa belle histoire.