L’Opéra-Comique ravagé par les flammes du Phoenix Armide
La tragédie d’Armide abandonnée, la magicienne amoureuse de Renaud, a inspiré de nombreux compositeurs. A une saison d’intervalle, l’Opéra-Comique a programmé les opéras de Gluck et de Lully. Qui l’emporte au jeux des sept différences ? Réponse…
Est-ce la berlue ou l’effet de l’ivresse ? En faisant un copier-coller de la brochure 2022-2023, les programmateurs de l'Opéra-Comique ont vu double avec Armide. Le 17 juin 2024, les mélomanes ont pu découvrir non pas une nouvelle production mais le même spectacle dans les mêmes décors, entendre le même chef et le même orchestre, suivre exactement la même histoire tout en jouant aux jeux des sept différences car ce n’était pas l’opéra de Gluck qui était repris (comme en novembre 2022) mais celui de Lully. Il existe de très nombreuses Armide, le personnage de La Jérusalem délivrée du Tasse ayant inspiré des musiciens aussi divers que Haendel, Vivaldi, Haydn, Rossini ou Dvořák. L’italien Lully (en 1686) et Gluck, l’allemand (en 1777), ont composé à une centaine d’années de distance leur opéra sur le livret de Philippe Quinault, auteur dramatique né à Paris. Cette excellente idée de rapprochement des peuples lyriques et des univers européens sur le papier aurait pu tourner vinaigre, la mise en scène de Lilo Baur n’ayant pas récolté la majorité des suffrages à sa création, en 2022.
Armide, une forte impression du déjà vu, et pourtant…
C’est donc un peu inquiets que les spectateurs et les journalistes sont retournés Salle Favart pour retrouver la magicienne Armide et ses maléfices, emberlificotée dans un costume trop grand. Il faut croire que les critiques ont porté leurs fruits car, miraculeusement, le spectacle n’a presque plus rien à voir. Même si les mouvements des choristes, défaut principal, restent le point faible, Lilo Baur a bien fait de se débarrasser des accoutrements embarrassants (on se souvient de Véronique Gens perchée sur une sellette pour étaler les pans de sa robe) pour les remplacer par des vêtements atemporels, beaucoup plus sobres. Un imposant arbre sans feuille constitue le principal élément de décor (conçu par Bruno de Lavenère) que l’on retrouve plutôt enchanté car sous les différents éclairages de Laurent Castaingt, il offre d’assez belles images. La metteuse en scène réussit plusieurs tableaux avec parfois des moments de poésie. Le long d’un fleuve, Renaud l’amoureux ensorcelé, observe des lieux mouvants traduits pas des corps ondulants sur le sol. Sans être effrayante, l’apparition de la Haine marque avec une Armide seule au milieu des furies qui cherchent à lui arracher le cœur. La chorégraphie de Cláudia de Serpa Soares confiée à quelques danseurs mais principalement aux membres du choeur dont ce n’est pas le métier, se réduit à des gestes rudimentaires, le plus souvent efficaces. Sans être déplaisante, la danse de Lully manque de faste malgré la direction exceptionnelle de Christophe Rousset. Au clavecin ou à la baguette, le chef, à la tête des Talens Lyriques survoltés, possède l’ADN de cette musique qu’il transcende grâce au théâtre qu’il insuffle et grâce également au plateau de comédiens chanteurs qu’il accompagne à la perfection.
Vous chantiez ? Eh bien ! dansez maintenant
Outre les héros de la tragédie, les Armide de Lully et de Gluck offrent de nombreux rôles qu’il convient d’incarner. Véritable enchantement Salle Favart, tous les artistes (dont une partie était déjà à l’affiche du Gluck) se sont montrés convaincants, rivalisant de beauté dans une diction idéale. Le ténor Abel Zamora, talent ADAMI 2023, est un Amant Fortuné qui séduit et se fait très agréablement remarqué dans une scène trop courte. Les timbres bien marqués de Florie Valiquette et d’Apolline Raï-Westphal, plus à l’aise chez Lully que chez Gluck, permettent de les distinguer dans leurs duos de suivantes, avec une jolie sensualité chez l’une et du mordant chez l’autre. Elles ensorcellent les deux chevaliers venus délivrer Renaud captif. Enguerrand de Hys reprend son rôle avec, semble-t-il, plus de liberté dans son jeu naturel. Avec une belle maîtrise vocale et des nuances appréciées, Lysandre Châlon se distingue d’une courte lame d’épée. Le rôle du roi Hidraot revient à nouveau à Edwin Crossley-Mercer, toujours impeccable, tandis que La Haine est confiée à une tessiture masculine. L’on retrouve avec grand bonheur le baryton Anas Séguin, joliment impérial, qui a souvent chanté au Comique. La soirée a été dédiée à la mémoire de Jodie Devos, soprano adorée par tous tristement disparue à l’âge de 35 ans et qui était, elle aussi, chez elle sur cette scène. L’acoustique de la Salle Favart sert d’écrin à la voix de Cyrille Dubois qui prend de l’ampleur et évolue naturellement sans toutefois perdre en agilité. L’exceptionnelle haute-contre française délivre une leçon de beau chant en ornant ses phrases avec un naturel confondant. Il a, face à lui, une Armide qui ravage tout ! Esquissant des mouvements de danse ou occupant la scène par sa présence magnétique, Ambroisine Bré est mue par la flamme des grandes tragédiennes. Plus à l’aise dans la véhémence que dans les parties élégiaques, la voix est conduite pour poser le théâtre où l’actrice chanteuse emporte tout. Effrayante lorsqu’elle lève un poignard sur Renaud, bouleversante dans la scène de séparation, Armide ne s’envole pas dans les airs mais la prestation d’Ambroisine Bré marque les esprits, effaçant les souvenirs mitigés d’un Gluck… à qui il faudrait redonner sa chance !