Classique c'est cool

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Les sculptures de François Vigorie mises en lumière par Tristan Pfaff

A l’opéra, le mélomane est habitué à naviguer entre la musique et les arts de la scène, oubliant parfois que les correspondances sont bien plus nombreuses qu’il n’y paraît. A l’occasion d’une superbe exposition, le pianiste Tristan Pfaff fait toute la lumière sur le sujet. Explication…

Tristan Pfaff (c) DR

Les salles de concerts traditionnelles n’ont pas l’exclusivité de la beauté. Au hasard des rencontres, elle peut surprendre au détour d’une exposition ou sur une scène atypique. A Paris, la Salle René Capitant de la Mairie du 5ème arrondissement accueille jusqu’au 23 mai 2024, une superbe exposition consacrée à l’artiste plasticien François Vigorie disparu en 2016. Pour rendre hommage à ce magicien de la lumière, mercredi 15 mai, le pianiste Tristan Pfaff a offert un récital unique avec, au programme, des pièces venues exalter la force et la beauté des œuvres du sculpteur.

Et la lumière de François Vigorie fut !

François Vigorie : Sculpter la lumière (c) DR

François Vigorie fait résonner les transparences dans ses œuvres comme un pianiste qui iriserait son son. Pionnier dans l'utilisation de techniques industrielles, il a sculpté des blocs de verre où la pureté du matériau et le polissage permettent une netteté cristalline. Les parties sablées viennent, en contraste, souligner la limpidité en apportant comme un outrage à la matière, comme des mots posés sur la plus diaphane des musiques. Certaines parties colorées donnent un autre relief dans un dialogue entre épure et foisonnement. La lumière voyage au sein des blocs où les arêtes posent le cadre mais n’imposent aucune frontière. Sublimées par l’éclairage, les œuvres choisies pour l’exposition constituent un ensemble cohérent et étonnement très varié. Naviguer autour des sculptures offre autant d’angles nouveaux que de points de vue où l’œil se plait à contempler cette beauté simple, presque brute et pourtant merveilleuse. Grâce à l’énergie de Cyrille Vigorie, fils de l’esthète et bienveillant passeur d’art, il est possible ponctuellement d’admirer la collection privée, la vente des pièces ayant été contenue. L’exposition François Vigorie : Sculpter la lumière, ouverte sur une courte période seulement, est à visiter sans tarder. Pour les amateurs d’art qui l’ont vue et qui connaissaient déjà cet univers poétique fascinant, la patience sera désormais de mise avant le prochain événement.  

Les mystères de Tristan Pfaff mis en lumière par Liszt

Tristan Pfaff et Cyrille Vigorie (c) DR

Lorsque l’on sculpte la matière ou le son, il est aisé de jeter un pont entre les arts. De l’autre côté de la salle d’exposition, l’Agora Jacqueline de Romilly qui dispose d’un piano Steinway, a accueilli le récital de Tristan Pfaff. L’artiste qui a composé un programme court, s’est inspiré des œuvres de Vigorie en apportant une part de mystère dans sa sélection de pièces, évidemment lumineuses. Comme un lever de soleil, les célèbres Barricades mystérieuses de François Couperin sont propices à créer une atmosphère malgré l’acoustique généreuse de l’espace qui en a gommé les demi-teintes. Le piano élégant de Pfaff apporte une petite touche romantique à l’univers baroque que la martiale Marche pour la cérémonie des Turcs vient compléter. Les variations sur le thème de Lully, composées par Jean-Baptiste Robin, réservent de bonnes surprises. A la fois respectueuses et agréablement enlevées, elles posent de jolies nuances et une dose de virtuosité bienvenue. La deuxième série « Printemps » qui regroupe des pièces de Catalani, Komitas et Grieg est sans doute celle qui réserve les plus beaux moments suspendus de musique. « In sogno! » du compositeur de La Wally est joué avec la simplicité et la profondeur que réclame ce genre de courtes pièces. Sous les doigts du pianiste qui enchainera avec Liszt, les couleurs de Komitas et Grieg sont ensuite chatoyantes jusqu’à la note bleue. Dans une alternance entre les pièces douces et échevelées, le récital de Pfaff est à l’image de sa discographie mais également des œuvres du sculpteur, entre force et beauté. En abordant « Liebesträume » (le célèbre tube « Rêves d'amour »), il confirme ses affinités avec le compositeur hongrois qu’il joue sans affèteries et dans un certain dépouillement, scandé par une main gauche affirmée. Comme un jaillissement de lumière, « L’Etude transcendante n°10 », enchainée directement, est une explosion de virtuosité où la maîtrise permet au pianiste de se déchainer et d’emporter l’enthousiasme d’un public ravi. En bis, la délicate pièce de Kabaleski extraite des « Trente pièces pour enfants » lui a permis de repartir dans la douceur et la paix, emportant avec eux une petite part d’art…