David et Jonathas mal compris au Théâtre des Champs-Elysées
Lorsque le couple Sébastien Daucé et Marc-Antoine Charpentier se forme quelque part, le mélomane se précipite. Quand il s’agit du délicat et puissant chef-d’œuvre David et Jonathas, il se rue en courant peut-être le risque d’être déçu. Explications…
Le Théâtre des Champs-Elysées enchaine les productions lyriques avec quelques tyrans comme héros. Après le puissant Boris Godounov le mois dernier, c’est aujourd’hui Saül qui se débat sur les planches de la scène parisienne après avoir tourmenté le Théâtre de Caen. La nouvelle production de David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier, vue lundi 18 mars 2024, est une coproduction avec la maison normande qui conquerra également le Luxembourg, la Lorraine et Lille, opéras partenaires. Armée de la direction avertie de Sébastien Daucé à la tête de l’Ensemble Correspondance, l’opéra biblique avait tout pour triompher. Malheureusement, le capitaine Jean Bellorini à la mise en scène ne semble pas avoir trouvé le bon terrain pour mener la bataille du sens dans cette magnifique œuvre qui ne demandait qu’à enchanter les spectateurs.
David à Jonathas : qu’est-ce que tu fais pour les Champs-Elysées ?
L’accueil réservé ce soir de première parisienne n’a pas été très bon et l’on peut comprendre une certaine frustration de la part du public. L’histoire de David et Jonathas est assez simple à suivre si l’on fait jouer ses chanteurs. David aime Jonathas, le fils du roi Saül terriblement jaloux de cette relation à la vie à la mort entre les deux jeunes hommes. Il n’est pas vraiment besoin de convoquer Freud pour comprendre ce qu’avait mis en scène avec beaucoup de pudeur Andreas Homoki, dans une production du Festival d’Aix reprise à Comique en 2013. L’approche psychologique intéresse moins Jean Bellorini qui préfère s’appuyer sur le contexte politique du livret (Saül et David mènent la guerre entre Israélites et Philistins). Au lever de rideau, Saül mal en point est dans une chambre d’hôpital où une infirmière pleine de compassion l’aide à revivre son drame pour effacer le trauma (comme dans les spectacles de Tcherniakov). L’action se déroule en parallèle sur la scène en contre-bas où le héros va bientôt sauter hors de son lit de douleur pour jouer ses scènes, en liquette ! Affublés de masques qui créent un sentiment de malaise, les membres du choeur figurent tour à tour des guerriers ou des migrants ou des sans-abris victimes de guerre sans que leurs costumes ne définissent clairement qui ils sont. Enfin, et c’est sans doute le nœud du problème, le personnage masculin de Jonathas écrit pour un soprano ne laisse aucune ambiguïté sur son genre. L’enjeu dramatique perd de sa puissance dès lors que la jeune fille déclare ouvertement son amour à David. Le tourment des amoureux s’en trouve affadit avec des personnages qui n’émeuvent que rarement.
Le Grand Siècle raconté par le grand Daucé et ses amis
Le spectacle avait pourtant très bien commencé avec une première scène sobrement spectaculaire. L’apparition de La Pythonisse devant une grande toile rouge annonçait une esthétique qui restera au stade d’embryon. Il faut dire que la grande Lucile Richardot impressionne d’emblée dans un rôle que l’on trouve bien trop court lorsqu’il est chanté avec cette époustouflante maîtrise du souffle, des couleurs et des effets. L’ensemble de la distribution très homogène n’appelle que des compliments. Le public parisien a découvert en scène le ténor Petr Nekoranec qui, dans le rôle de David, est le haute-contre à la française attendu avec une technique qui lui est propre. Les aigus puissants dans ce qui semble être une voix de tête sont fort beaux. Même si le chanteur n’a pas eu l’occasion de prouver ses talents d’acteur, sa prestation donne envie de vite le revoir sur scène. La sensible Gwendoline Blondeel touche les coeurs dans le grand air de Jonathas où, seule sur scène, sa voix et son corps vibrent à l’unisson pour incarner un personnage, ne serait-ce que lors d’un bref instant. Jean-Christophe Lanièce, Roi Saül qui porte le récit, est mieux servi dramatiquement. Puisant dans ses graves, après un récent et superbe Pelléas, le baryton continue un parcours sans faute que lui permet une technique solide et des moyens vocaux intelligemment exploités. Parmi les rôles secondaires, Etienne Bazola est un Joabel un peu fruste tandis qu’Alex Rosen s’impose sans peine dans Achis et l’ombre de Samuel avec son timbre d’airain. Le phrasé d’Hélène Patarot, la comédienne qui, en infirmière, récite un texte poétique de Wilfried N’Sondé est délicat mais trop haché, il coupe souvent l’action ce qui rajoute à la mauvaise compréhension (et à la médiocre réception) du spectacle. A l’opposé, la direction de Sébastien Daucé se place, comme on l’attendait, au plus haut degré. Être spécialiste d’un compositeur est une chose mais savoir transmettre son génie au grand public en est une autre. Avec son Ensemble Correspondance et des chœurs précis et idéalement investis, la réussite du chef fait regretter un triomphe qui aurait pu mettre tout le Théâtre des Champs-Elysées victorieux, debout !