Schubert en terre inconnue lors d’un Autre Voyage à Comique
Le mélomane connaît le travail du chef Raphaël Pichon qui aime défricher, exhumer et mélanger des pièces pour créer des spectacles inédits. En lui donnant carte blanche avec Schubert, l’Opéra-Comique nous emmène dans un Autre Voyage plutôt sombre. Explications…
Le subtil et très imaginatif Raphaël Pichon aime créer des programmes à partir de différentes pièces. Au disque, on lui doit de superbes réussites comme Stravaganza d'Amore!, Rheinmädchen ou, plus récemment, Mein Traum. A partir de Lieder et d’arias de Schubert, Weber et Schumann, il a construit un récital captivant pour Stéphane Degout. Le bouillonnant baryton excelle devant un micro d’enregistrement mais la scène offre une autre dimension, plus démentielle encore, à son génie d’interprète. Une partition établie à partir de fragments schubertiens, un chef, son artiste de référence et d’autres chanteurs, ne manquait plus qu’une mise en scène pour proposer un nouveau spectacle à l’Opéra-Comique. L’Autre Voyage, tel que représenté ce 7 février 2024, n’est pas pour autant un opéra mais offre plutôt une trame sur laquelle se greffe de la très belle musique. Avec quelques beaux moments, le spectacle laisse toutefois un goût d’inabouti.
Histoire d’un couple, Anatomie d’un Schubert !
Dans un tel exercice, la difficulté est souvent de trouver une histoire à partir de mots qui ne racontent pas forcément la même chose. Pichon a sélectionné des Lieder de Schubert, des pièces religieuses et quelques extraits de Alfonso und Estrella et Fierrabras (ses seuls opéras un peu connus) mais surtout de nombreuses pages issues d’œuvres inachevées, laissant à Silvia Costa la charge de bâtir un récit et une mise en scène. Avant le lever de rideau, les spectateurs découvrent un rouet et pensent bien évidement à la célèbre Gretchen am Spinnrade. La soprano Siobhan Stagg n’interprète pas pour autant Marguerite mais une parque qui coupe un fil rouge suspendu. La mort sera au centre des différents tableaux où l’on suit quelques épisodes désordonnés de la vie d’un couple endeuillé par la perte de leur enfant, avec une étrange scène d’ouverture autour d’une dissection. L’aspect très réaliste de la mise en scène contraste avec des moments oniriques plus réussis où l’on ne cherche plus à comprendre l’histoire qui nous est contée par bribes. Quelques superbes images resteront en mémoire comme lorsque Stéphane Degout chante Der Doppelgänger. Plongé dans le noir, il craque quelques allumettes qui éclairent furtivement son visage. L’effet sur cette musique est saisissant comme l’apparition de l’enfant. L’émotion nous étreint avec le petit Chadi Lazreq, excellent sopraniste, qui chante devant ses parents. Les acteurs enfilent différentes perruques marquant le temps qui passe, une belle idée de mise en scène.
Pichon et le Pygmalion de Schubert
Admirablement défendue par Raphaël Pichon, son ensemble Pygmalion et également par la Maîtrise Populaire de l'Opéra-Comique, la musique de Schubert est une révélation car même si l’on reconnaît aisément quelques morceaux, les pièces forment un ensemble inédit et remarquablement construit. Le choeur atteint la perfection vocale dans Grab und Mond, un modèle de profondeur, de beauté et de maîtrise technique. Il ne faudra pas louper la diffusion du spectacle sur France Musique (le 9 mars 2024 à 20h) ou la reprise à l’Opéra de Dijon (les 6 et 8 mars 2024) pour goûter au plaisir de cette musique sublime. Il convient de féliciter les enfants de la Maîtrise Populaire qui chantent juste et avec application ce qui ne se ressent jamais sur scène où ils évoluent de façon naturelle. Stéphane Degout reste sur les cimes du chant et même s’il est le personnage principal avec le plus grand nombre d’apparitions, l’on aimerait en entendre d’avantage tant son phrasé intelligible, les nuances, l’intelligence de l’interprétation et la couleur spécifique de son timbre forment un art unique. Après avoir été souffrante, Siobhan Stagg retrouvait la scène avec quelques fragilités vocales qui l’ont empêché de convaincre pleinement surtout dans le très connu Nacht und Traüme qui a manqué d’incarnation malgré un tapis sonore d’une incroyable ductilité. Avec l’émouvant Chadi Lazreq, Laurence Kilsby est l’autre découverte de la production. Un timbre souple et phonogénique semble conduire naturellement vers la mélodie ce jeune ténor de 25 ans qui est une séduisante révélation. Premier artisan de ce projet, Raphaël Pichon est sans aucun doute le plus remarquable de tous. Sa direction précise porte aussi bien le chœur que l’orchestre vers des sommets. Le choix des œuvres portées sur l’ombre schubertienne n’empêche pas les éclats de lumière avec une maîtrise des intensités qui touche au génie. Pour Schubert redécouvert, grâce à Pichon et à ses artistes, ce spectacle restera comme une pleine réussite musicale.