Asmik Grigorian la Madama Butterfly des 100 ans des Arènes de Vérone
Le Festival dell'Arena di Verona 2023 était le lieu incontournable de 2023 à l’occasion de la saison du centenaire ! Les mélomanes ont été particulièrement gâtés avec des distributions de grand luxe et des premières comme la venue d’Asmik Grigorian. Explications…
La grande année du Festival des Arènes de Vérone aura su ménager les surprises. A l’occasion des 100 ans de la manifestation de légende, le programme était attendu plus qu’à l’accoutumée. La bonne idée de Cecilia Gasdia (la soprano bien connue, née à Vérone, est devenue la première femme surintendante de la Fondation Arena di Verona en 2018) a été de proposer de nombreux titres comme un catalogue illustré du grand répertoire. Le slogan de la saison 2023 « 100 fois la première fois » a été concrétisé avec une cinquantaine de représentations de huit grands classiques de l’opéra contre les quatre ou cinq habituellement à l’affiche. Pour un événement de cette envergure, il était inconcevable de ne pas inviter les grandes stars de la scène lyrique internationale. Les Netrebko, Kaufmann, Tézier etc. étaient présents comme il se doit et les étoiles montantes également. Le 2 septembre 2023, Asmik Grigorian a fait ses débuts sur la gigantesque scène des Arènes dans Madama Butterfly de Puccini.
Superbes costumes mais léger froissement dans la fosse
La mise en scène de Franco Zeffirelli ravira les plus traditionnels. Aucun détail de la reconstitution fantasmée d’un Japon de théâtre n’échappera à leur regard émerveillé car rien ne manque aux tableaux, inspirés au mieux des estampes d’Hokusai ou plus sûrement, d’un album des aventures de Tintin. Plus encore que les décors, les costumes somptueux d’Emi Wada (la créatrice japonaise a notamment reçu un Oscar pour le film Ran d'Akira Kurosawa) procurent un réel émerveillement notamment le kimono blanc de Cio-Cio-San qui flotte dans les airs telles les ailes du papillon. Le flacon est luxueux mais l’ivresse sera apportée par les interprètes avec au premier rang, le chef Daniel Oren devant l’orchestre des arènes de Vérone. Sa direction fluide charme bien souvent l’oreille jusqu’à un épisode inattendu. Une adresse un peu verte aux cuivres (semble-t-il) est venue troubler la représentation faisant même craindre une « John Eliot Gardinerie » . Tout s’entend dans la parfaite acoustique de l’amphithéâtre romain et les borborygmes d’Oren ont jeté un léger froid et de l’incompréhension car la prestation de l’ensemble semblait couler naturellement. Autre phalange de grand talent, les chœurs italiens rompus à ce répertoire ont très bien exécuté le fameux air à bouche fermée, l’un des beaux moments de la soirée. Le festival apporte un soin particulier à la distribution des seconds rôles où chacun est non seulement à sa place sur scène mais également dans sa tessiture. Le vibrionnant Goro de Matteo Mezzaro rejoint une galerie de personnages bien dépeints comme le Prince Yamadori (Italo Proferisce) ou le sonore Gabriele Sagona (Bonzo) qui amènent un peu d’action.
Asmik Grigorian, Madama Butterfly 2023 de collection
Incarné ici par Sofia Koberidze, le personnage compatissant de la servante Suzuki est souvent payant. La chanteuse développe un beau mezzo qui rend l’humanité du personnage avec la sensibilité attendue. Autre bonne prestation, le baryton Gevorg Hakobyan au vibrato marqué et au timbre plutôt sombre pour le rôle de Sharpless possède suffisamment de couleur pour émouvoir lui aussi. Son camarade américain, le lieutenant F. B. Pinkerton, est incarné par Piero Pretti. Le ténor qui a fait ses débuts en 2006 possède un métier certain qui lui permet de tenir son rôle avec une très bonne connaissance de la partition. Alors que les machines à décibels sont souvent lâchées par des ténors peu scrupuleux de l’équilibre, l’artiste parvient à surprendre plus d’une fois dans une approche non pas raffinée mais délicate. La distribution homogène semble avoir été pensée pour servir d’écrin à la grande héroïne de la soirée vers qui tous les yeux se tournent. Asmik Grigorian fait partie de ces rares artistes qui attirent la lumière. Une entrée légèrement trop sonore rappelle qu’elle fait ses tout premiers pas sur l’imposante scène et dans l’acoustique réputée des arènes de Vérone mais la jeune soprano impressionne d’emblée par son naturel et par une maturité vocale des plus remarquables. Daniel Oren déroule un tapis pour le grand air « Un bel dì, vedremo » qui n’est pas simplement chanté mais vécu. Malgré l’immensité du lieu, l’actrice est fascinante pour ceux qui scrutent les expressions de son visage aux jumelles. Tout juste peut-on noter un aigu qui manque parfois de plénitude mais après cette prestation, il est évident qu’Asmik Grigorian est la Cio-Cio-San de sa génération. Sa prestation s’inscrit dans les grandes réussites du Festival dell'Arena di Verona qui, à cent ans, offre des premières fois pleines d’éclat.