Un tonnerre pour la Tosca du Gstaad Menuhin Festival
Les mélomanes les plus chanceux se retrouvent l’été à Gstaad où les attend le superbe Gstaad Menuhin Festival. Un soin tout particulier est apporté aux représentations lyriques plus rares que les concerts comme pour cette Tosca éclatante. Explications…
Dans le top trois des plus prestigieux festivals suisses, le Gstaad Menuhin Festival peut s’enorgueillir d’être le plus important en termes de durée. Du 14 juillet au 2 septembre 2023, des affiches exceptionnelles ont été proposées chaque soir dans les charmantes églises du Saanenland ou sous la vaste tente du Festival à Gstaad comme ce 25 août où Sonya Yoncheva chantait Tosca de Puccini. La soprano, tête d’affiche des plus grandes maisons d’opéra dans le monde, avait comme partenaire un solide ténor et un baryton véritable bête de scène, tous sous la direction enflammée de Domingo Hindoyan (l’époux à la ville de la diva). Même en version de concert, le festival réserve toujours une place de choix aux opéras qu’il agrémente depuis peu de projections vidéo en place des décors.
Le méchant a-t-il plus de sex-appeal que Mario ?
Sur trois larges panneaux entourant l’orchestre, les images présentent des éléments (intérieur de la chapelle, Castel Sant'Angelo), viennent souligner un détail (le portrait de la Attavanti) ou les états d’âme des différents personnages. Ces suggestions offrent un plus qui vient enrichir la représentation de Tosca. La mise en espace pensée par Erwin Schrott a permis à chacun de tenir une double partition tant vocale que dramatique. A ce jeu, le baryton-basse dans le rôle de Scarpia l’emporte haut la main et domine même le plateau d’une large coudée. Prenant corps dans chaque geste et dans chaque intonation, son Baron sanguinaire est fascinant à regarder. Acteur né, il habite son personnage de façon réaliste et glaçante sans rien concéder à l’exigence vocale. Le baryton-basse allège son registre pour darder des aigus solaires mais c’est surtout sa compréhension du texte et l’intelligence de la phrase qui sont remarquables. Dans un Te Deum impressionnant, « Va, Tosca! » répété trois fois est à chaque fois varié et traduit parfaitement la montée d’un désir animal. L’inconvénient avec une prestation de ce niveau est qu’elle exige des autres artistes un talent qu’ils n’ont pas toujours. Riccardo Massi est un solide ténor mais malheureusement un piètre acteur. Les amoureux comme Cavaradossi offrent certes moins de complexité théâtrale que les méchants mais en tenant ses aigus plus que nécessaire, Massi, concentré sur son beau chant, reste dans la démonstration sans jamais dessiner un personnage. Dommage car la technique est sûre et les moyens vocaux, adéquats.
Superbe Sonya Yoncheva, nouvelle Tosca 2.0
Dans le reste de la distribution, chacun tient sa partie avec conviction. Dans le rôle du Sagrestano, Matteo Peirone cabotine comme il se doit tandis que David Oštrek (Angelotti) et Álvaro Zambrano (Spoletta) aux timbres affirmés apportent un plus vocal à leur personnage. Le chef-d’œuvre de Puccini tient sa réussite grâce au rôle payant de la diva Tosca que toutes les grandes sopranos se doivent d’accrocher à leur répertoire. Sonya Yoncheva qui a déjà beaucoup chanté l’opéra sur scène comme Erwin Schrott, est sans aucun doute l’une des plus grandes à l’heure actuelle. Même si, au premier acte, quelques minauderies et la prise de poses rappellent un peu trop les images des réseaux sociaux et ne composent pas un caractère, la comédienne prend complètement vie au deuxième acte, stimulée par son partenaire survolté. L’électricité était dans l’air car à l’extérieur les grondements d’un orage se sont invités un court moment dans la représentation. Enfin dans son rôle, la soprano entonne le célèbre « Vissi d’arte » à genou qui procure une réelle émotion avec cette voix opulente unique survolant sans effort les difficultés de la partition. Seuls les puristes regretteront quelques ports de voix inutiles mais l’enthousiasme ne peut que l’emporter devant une si belle incarnation avec un « Muori! » quasi d’anthologie. Domingo Hindoyan, plein d’ardeur et de théâtre, enveloppe son héroïne d’un manteau sonore confortable et joliment dessiné. Le chef dirige les remarquables Gstaad Festival Orchestra, Zürcher Sängerknaben et Chor Der Bühnen Bern qui rivalisent de beauté même dans les moments les plus violents exacerbés par des percussions retentissantes. La version de concert semble dynamiser l’ensemble qui déborde parfois mais sans faute de goût. Le théâtre a fait irruption plusieurs fois sur la scène du Gstaad Menuhin Festival au cours d’une soirée mémorable.