Opéra de Quat’sous façon Comédie-Française au Festival d’Aix
Tous les mélomanes du monde entier se retrouvent à Aix et tout particulièrement cette saison car 2023 est l’année des 75 ans. Pour ouvrir les festivités lyriques, Berthold Brecht et Kurt Weill ont été convoqués d’une drôle de façon. Explications…
2023 est une année un peu particulière pour le Festival International d'Art Lyrique d'Aix-en-Provence qui fête cette saison son 75ème anniversaire. Pour célébrer l’événement, il était possible de suivre la tradition ou de rompre avec les habitudes. Pierre Audi, actuel directeur artistique de la prestigieuse institution, a choisi les deux options. Così fan tutte de Mozart qui a ouvert la toute première édition en 1948 était bien présent dans le programme mais c’est un étonnant Opéra de Quat’sous qui a fait l’ouverture de l’édition 2023, au Théâtre de l'Archevêché. La pièce inclassable de Kurt Weill et Bertolt Brecht (épaulé par Elisabeth Hauptmann) oscillant entre opéra et cabaret a été confiée à des chanteurs d’un autre genre puisqu’il s’agit de la troupe de la prestigieuse Comédie-Française. La quatrième représentation du 10 juillet 2023 était la séance ouverte au jeune public.
Thomas Ostermeier, pas si dégénéré que cela !
On oublie sans doute un peu vite que les comédiens du Français suivent une formation très poussée qui passe par la case chant. Tous les artistes ont fait leurs gammes. Il connaissent leur partition pas tout à fait lyrique ce qui oblige le critique musicale à ouvrir la fenêtre de sa loge côté scène théâtrale, le temps d’un festival ! Habitué d’Avignon, le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier aborde pour le première fois le genre lyrique sur une scène exposée, la cour du Théâtre de l'Archevêché ayant accueilli dans le passé de très grands noms. Avec un dispositif assez simple et des micros placés à l’avant-scène, il fait évoluer ses comédiens-chanteurs sur une scène presque nue, les laissant porter le spectacle. Tous s’en donnent à cœur joie dans les parties comiques qui ressortent plus que la satire sociale affadie. Die Dreigroschenoper est une œuvre subversive écrite et composée pour faire exploser un modèle jugé en 1928, trop petit-bourgeois. Le spectacle, plutôt réussi, reste bien sage ne soulignant jamais les saillies anticapitalistes. Cependant, aux saluts, les comédiens ont repris en chœur un nouveau couplet mettant en garde contre la montée des extrêmes, nous rappelant que le chef-d’œuvre de Brecht et Weill a été considéré par le pouvoir nazi comme de l’art « dégénéré » produit par le « judéo-bolchévisme » !
Sur la scène d’Aix-en-Provence, on y chante, on y danse…
La musique de Kurt Weill trouve en Maxime Pascal un interprète de rêve. Dirigeant Le Balcon, son orchestre survolté, le chef trouve toutes les inflexions sonores qui rendent cette œuvre unique. Grâce à l’apport des différents instruments, le mélange entre jazz, chansons populaires et grand lyrique opère de façon idéale. Il serait vraiment intéressant de garder la trace de cette prestation orchestrale mais avec sans doute d’autres voix. Ce n’est pas faire offense aux comédiens géniaux de la Comédie-Française de dire que malgré de grandes qualités, leur chant ne peut rivaliser avec certaines voix. Marie Oppert, la seule « vraie » artiste lyrique, se montre évidemment la plus convaincante vocalement en Polly Peachum même si sa technique mixte n’empêche pas quelques stridences. A l’inverse, dans le rôle de Macheath son amant, Birane Ba peine parfois dans ses parties vocales, pas toujours aidé par le texte. La grande nouveauté de cet Opéra de Quat’sous est justement le texte entièrement revu et traduit par Alexandre Pateau. Le travail d’actualisation est plutôt réussi même si la prosodie heurte parfois l’oreille. La chanson « Jenny des Pirates » est l’une des plus réussies mais pourquoi avoir remplacé le « Hoppla ! » allemand bien compréhensible par un bêtassou « oups ! » ? Toutes les interventions de Véronique Vella (formidable en Celia Peachum, « donne-moi ta chaussette minou ! ») font mouche, la comédienne rappelant même Lotte Lenya (créatrice du rôle de Jenny et femme à la ville de Kurt Weill). Elle forme avec son époux Peachum un inénarrable duo comique. Christian Hecq excelle une fois de plus dans un rôle où la veulerie, les airs chafouins du fâcheux sont servis avec une palette expressive exceptionnelle. Il conviendrait de citer tous les artistes du Français comme Elsa Lepoivre, (bouleversante dans le rôle trop court de Jenny), Claïna Clavaron, le très drôle Cédric Eeckhout chauffeur de salle, Sefa Yeboah, Benjamin Lavernhe, etc. car dans ce spectacle sans scandale, ça chante, ça danse, ça joue et ça enthousiasme sans retenue !