Week-end détente à Aix ? Le Così des 75 ans
Entre Così et Aix, il est question de fidélité depuis le premier jour mais les histoires d’amour finissant mal en général, les mélomanes festivaliers ont fait une amère expérience. Cet été, Tcherniakov leur a plutôt réservé un traitement de choc. Explications…
L’histoire d’amour entre Così fan tutte et le Festival d’Aix-en-Provence dure depuis maintenant 75 ans. L’opéra de Mozart a été entendu dans la cour du Palais de l’ancien Archevêché pour la première fois en juillet 1948. Gabriel Dussurget inaugurait la toute première saison de ce qui deviendra le Festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence. Pour fêter la saison anniversaire de la grande institution, premier festival d’opéra de France, il semblait naturel de programmer une nouvelle production de l’œuvre avec laquelle tout a commencé. Pourtant, ce 11 juillet 2023, les premières représentations passées, des échos peu favorables sur ce nouveau Così résonnaient dans les magnifiques cours d’Aix-en-Provence. En effet, la troisième représentation a été saluée par des huées, confirmant un désamour certain des festivaliers pour la mise en scène signée Dmitri Tcherniakov.
Le Così de tous les scandales ?
Ses propositions radicales sont pourtant connues des mélomanes qui peuvent apprécier son travail de déconstruction. Une vidéo en ligne et un jeté ajouté au programme de salle expliquent son point de vue qui dit comprendre Così fan tutte comme l’histoire de couples en crise, à l’approche de la cinquantaine. Au lever de rideau, Fiordiligi et Guglielmo sont donc mariés depuis bien longtemps comme Dorabella et Ferrando, tous venus passer le week-end dans une sorte de centre de thérapie tenu par un autre couple, plutôt sado-maso, formé de Despina et Don Alfonso. Le jeu de masques, cher au metteur en scène (toutes ses productions reprennent le même principe), peut alors commencer pour une duperie qui finira par l’échangisme. Jusque-là, rien de neuf sous le soleil aixois ! Le livret de da Ponte raconte en effet cette histoire mais de façon bien plus subtile. Le théâtre créé par Tcherniakov s’intéresse de plus près aux rapports tendus et très malsains qu’entretiennent Despina et Don Alfonso. La violence explosera dans une scène finale dérangeante qui évoque le cinéma de Michael Haneke. L’évocation du réalisateur autrichien qui a livré également une version extrême de Don Giovanni à Bastille (2005), n’est pas fortuite. Tcherniakov partage avec le cinéaste une esthétique épurée avec des décors glaçants (les tours de La Défense pour Don Giovanni, la résidence high-tech pour Così) et une approche résolument théâtrale.
“Prima le parole e poi la musica”, la musique prime-t-elle sur les mots ?
Alors que Haneke savait rester fidèle au texte, Tcherniakov s’en éloigne totalement laissant le spectateur bien en peine de suivre le surtitrage. Une fois le principe compris et accepté et malgré un intérêt certain, l’ennui gagne rapidement, la fin devenant même interminable surtout que l’ensemble est pauvrement chanté, malgré l’implication de Thomas Hengelbrock à la tête du Balthasar-Neumann-Ensemble. Le metteur en scène, à qui les clés de la maison ont été confiées, souhaitait une distribution avec des physiques correspondant à l’âge de ses personnages. Les mélomanes savent que l’on ne chante pas à 50 ans comme on le fait à 30 ! et même s’il faut saluer le courage des artistes, il convient objectivement de reconnaître leurs faiblesses. Vocalement, l’on souffre pour Agneta Eichenholz (Fiordiligi) et pour Rainer Trost (Ferrando), désormais incapables de venir à bout des difficultés de leurs arias. Des faussetés viennent trop souvent perturber l’écoute et déséquilibrent même constamment l’ensemble de la troupe. Nicole Chevalier (Despina), pourtant en pleine possession de ses moyens, peine à convaincre vocalement. Capable d’apporter quelques nuances, la mezzo Claudia Mahnke est sans doute celle qui tire le mieux son épingle du jeu face à son partenaire Russell Braun, Guglielmo au baryton toujours trop forcé. Reste le cas Georg Nigl qui endosse le rôle pivot de Don Alfonso. Avec une technique très personnelle de sprechgesang, le baryton, en parfait acteur, se fond complètement dans l’univers de son metteur en scène en incarnant un personnage trouble et véritablement inquiétant. Il est toujours appréciable lors d’un festival d’avoir des propositions différentes accompagnées d’un peu de piment. En invitant Dmitri Tcherniakov, les festivaliers s’attendaient à une production différente mais sans doute pas à cette distribution vocale problématique. En laissant le théâtre prendre le pas sur la musique, le Festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence s’est malheureusement pris les pieds dans le tapis de scène en faisant une malencontreuse sortie de route.