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A Dresde, Wagner retrouve la brillance de L’Or du Rhin

Une expérience unique attendait les mélomanes globe-trotters qui se sont donnés rendez-vous au Musikfestspiele de Dresde. Das Rheingold de Wagner était restitué dans une version proche de l’originale. Comment recréer Wagner ? Explications…

Rheingold bei Musikfestspielen © Oliver Killig

Le Dresden Musikfestspiele a choisi comme thème 2023 le Noir et le Blanc. Opposition et contraste sont deux termes qui s’accordent avec la personnalité de Richard Wagner, à l’honneur les 13 et 14 juin 2023. Dresde a consacré deux journées à un événement de taille, la restitution musicologique, philologique et instrumentale d’une partie d’un grand chef-d’oeuvre. Dirigé par Kent Nagano, Das Rheingold (L’Or du Rhin, prologue de la fameuse tétralogie du Ring des Nibelugen) a été entendu au Kulturpalast, le soir du 14 juin, tel que Wagner l’aurait pensé, écrit et souhaité.  Avec une distribution de qualité, les forces de deux orchestres réunis et l’enthousiasme de tous les participants au projet, la représentation a été accueillie par une ovation, récompense d’un travail intelligemment mené.

Dresde, Wagner et L’Or du Rhin, toute une histoire…

Rheingold bei Musikfestspielen (Kent Nagano) © Oliver Killig

Objet de bien de phantasmes, le grand compositeur allemand a publié une autobiographie de son vivant pour faire taire les rumeurs qui courraient déjà. Loin de calmer les controverses, il a réussi à inventer sa propre légende avec des éléments qui entretiennent le mystère. Il reste que l’homme a offert au monde lyrique une œuvre intense et incontournable. Sa radicalité artistique divise encore avec d’un côté des mélomanes allergiques qui lui préfèrent Verdi et de l’autre, une foule d’admirateurs qui lui vouent un véritable culte. Dans le Bayreuther Festspielhaus résonnent encore la polémique, les cris et les hourrahs qui ont accueilli la révolution Chéreau/Boulez. En 1976, année de centenaire, l’homme de théâtre apportait un souffle nouveau à la mise en scène tandis que le chef d’orchestre se débarrassait d’une tradition musicale trop empesée. Il existe sans doute un lien avec une autre révolution née dans les mêmes années. Les baroqueux avec leur désir de revenir au texte ont eux aussi œuvré à la redécouverte des musiques. En réunissant le Dresdner Festspielorchester et le Concerto Köln, les chemins se croisent aujourd’hui. L’orchestre baroque, à l’initiative du projet avec des représentations qui ont déjà eu lieu à Cologne et Amsterdam en novembre 2021 sous la supervision du Dr. Kai Hinrich Müller, a été rejoint par l’orchestre de Jan Vogler, directeur artistique du Dresdner Musikfestpiele. Impossible dès lors de distinguer l’un ou l’autre, la fusion a lieu et les deux ensembles sonnent d’une même voix sur des instruments d’époque.

Timbres d’or et grandes voix pour Das Rheingold

Rheingold bei Musikfestspielen (Derek Welton, Kent Nagano, Mauro Peter et Daniel Schmutzhard) © Oliver Killig

Wagner qui avait une idée très précise des couleurs qu’il souhaitait, a fait construire des instruments spécialement pour son Ring. Même s’il est impossible de restituer exactement la musique, il est imaginable de s’approcher du son original en allant chercher les instruments ad hoc. Il est vrai que dès l’ouverture, les habitudes d’écoute sont chahutées avec des vagues de son qui sont dans une juxtaposition plutôt que dans le flot continu généralement attendu. L’oreille est particulièrement attentive aux vents plus feutrés qui distillent une brume intrigante. Contrairement à la fosse de Bayreuth, l’orchestre est bien visible sur le plateau, l’avant-scène ayant été libérée pour les chanteurs. Dans cette configuration, Kent Nagano ne les regarde pas, à l’exception de Gerhild Romberger (Erda) qui fera une apparition très remarquée du balcon, l’imprécation à Wotan étant un moment particulièrement réussi. La direction nerveuse et rapide du chef insiste sur les contrastes et même si l’envolée vers le Walhalla (hélas plombée par Dominik Köninger, Donner manquant de justesse) semble plus lourde qu’habituellement, l’aventure reste fascinante. Après avoir été attentif aux différences, le spectateur se laisse emporter par le jeu des chanteurs et par les voix. Il faut être Allemand ou germanophone pour saisir toutes les nuances de la prosodie ici restituée mais malgré tout, certaines phrases parlées claquent comme par exemple celles de Katrin Wundsam (Fricka), grande soprano et excellente actrice. A une ou deux exceptions près (Tijl Faveyts, Fasolt peu convainquant), l’ensemble de la distribution est équilibrée avec des mentions spéciales pour Mauro Peter et Daniel Schmutzhard. Le ténor possède la diction des Liedersänger qu’il exploite parfaitement pour incarner un Loge malicieux et manipulateur. Dans Alberich, le solide baryton défend sa partition complexe en donnant toute l’humanité qui manque à Wotan. Derek Welton, toujours un pas devant ses camarades, prend à cœur son rôle de chef des dieux en se distinguant par sa morgue et une belle démonstration vocale. Gerhild Romberger (Erda) brille de mille nuances dans le fameux air "Weiche, Wotan, weiche!" tandis que Tilmann Rönnebeck, dans un rôle court également (Fafner) impose facilement sa basse. Nadja Mchantaf (sonore Freia), Tansel Akzeybek (Froh), Thomas Ebenstein (Mime légèrement hystérique) ainsi qu’Ania Vegry, Ida Aldrian et Eva Vogel (les trois filles du Rhin) complètent remarquablement cette distribution à qui il serait pertinent de tendre les micros. Le projet mérite en effet un approfondissement au disque où il sera plus facile de comparer les versions pour apprécier en profondeur les apports et les différences. Dans l’attente, d’autres rendez-vous avec Das Rheingold sont programmés à Cologne, Ravello et Lucerne avant la suite. Die Walküre, deuxième volet du Ring, est déjà programmé à Dresde, le 9 mai 2024. Les wagnériens curieux du monde entier ne manqueront pas l’événement.