Ariodante et Robert Carsen, les monarques du Palais Garnier
Les soirées lyriques au Palais Garnier sont précieuses. Après le triomphal Peter Grimes, l’Opéra national de Paris affiche Ariodante de Haendel, un autre grand titre cependant assez rarement distribué. Les mélomanes ont-ils réservé le même succès ? Compte-rendu…
Ariodante n’a pas eu beaucoup de chance à l’Opéra national de Paris. Après une production ratée de Jorge Lavelli en 2001 (avec pourtant Anne Sofie von Otter et Marc Minkowski), le grand retour du héros haendélien devait se faire à Garnier, le 20 avril 2023. L’impopularité d’une certaine réforme ayant eu des répercussions dans le palais en grève, la monarchie d’Ecosse mise en scène par le prisé Robert Carsen a dû attendre son jour pour enfin dévoiler tout son faste. C’est donc plus tard et ce 11 mai que la nouvelle production a été découverte. L’un des grands événements de la saison lyrique parisienne est donc venu après le couronnement de Charles III, de l’autre côté de la Manche. L’auditoire était pourtant au spectacle !
Le crime de lèse-majesté commis par Robert Carsen
On ne compte plus les réussites à Paris du metteur en scène canadien. Robert Carsen signe une nouvelle production où l’on retrouve ses marqueurs (les grands appartements, les petites tenues, l’unité de couleurs) et également une dose d’humour toujours délicatement amenée. Il prend le livret au pied de la lettre et transpose le Royaume d’Ecosse à l’époque récente, en s’appropriant au passage les ambiances feutrées de Downton Abbey ou de la série The Crown. Le drame d’Ariodante se déroule à la cour scrutée par les journalistes et épiée les paparazzi jusqu’au twist final où Carsen fait un joli pied de nez à la monarchie constitutionnelle du Canada en prenant clairement parti pour Harry et Meghan. Les costumes de Luis F. Carvalho, tour à tour parfaitement communs ou magnifiques, participent à l’action et occasionnent de superbes images comme lors de la scène finale du premier acte. Les tartans défilent sur le tapis rouge devant les armures et les trophées de chasse dans une scène de pré-couronnement d’une grande beauté. Il est heureux d’avoir conservé les ballets souvent coupés car le chorégraphe Nicolas Paul sait les habiter avec force et beauté (vibrante scène de cauchemar de Ginevra). Le point faible reste la direction plate du chef d’orchestre Harry Bicket qui, à 62 ans, fait ses débuts à l'Opéra national de Paris à la tête de son ensemble, The English Concert. Depuis Marc Minkowski, l’oreille s’est habituée à un théâtre dans la musique qui fait cruellement défaut ici. Le britannique est un fidèle de Haendel qu’il défend à l’anglaise, en l’illustrant avec peut-être trop de respect et d’amidon.
Christophe Dumaux est un parfait vil scélérat
Il a pourtant à sa disposition un plateau vocal d’une belle homogénéité où se distingue Christophe Dumaux qui excelle dans le rôle du méchant de l’histoire. Polinesso représente un beau challenge vocal que le contreténor relève avec brio mais également une partie de comédie non négligeable. Dumaux se délecte dans une veulerie qu’il incarne à la perfection face à ses petits camarades rendu un rien falots. Lauréate de concours de chant prestigieux, la mezzo Emily D'Angelo parfaitement androgyne n’est pas exactement la révélation attendue. Elle défend la partition qu’elle domine sans difficulté avec un timbre séduisant et des moyens vocaux qui iront s’élargissant, sans aucun doute. Intériorisé, le grand air « Scherza infida », chanté puis susurré dans l’ombre, est émouvant mais ce soir du 11 mai, son amoureuse Ginevra avait ce petit plus de présence vocale qui manquait à Ariodante. Très émouvante, la soprano ukrainienne Olga Kulchynska campe une héroïne blessée avec une ligne de chant haendélienne pure et une vocalise joliment maîtrisée. La confidente traîtresse Dalinda et son galant éconduit Lurcanio trouvent en Tamara Banjesevic et Eric Ferring de justes incarnations face au roi d’Ecosse. Alors qu’il s’est produit sur les scènes du monde entier, le vétéran Matthew Brook fait ses débuts au Palais Garnier. Son assurance vocale sied parfaitement au monarque avec un style plus classique que baroque. Chaque chanteur a défendu ses nombreux arias avec conviction mais musicalement peu soutenu par le chef, le spectacle de quatre heures a pu paraître long malgré l’inventivité de Carsen. Le metteur en scène, qui règne sans partage à l’Opéra national de Paris, signe une nouvelle grande réussite qu’il serait agréable de revoir avec son pendant, Alcina de Handel, autre grand succès du monarque canadien.