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Medea et l’ombre de Maria Callas à l’Opéra National de Grèce

Maria Callas, l’icône inconditionnelle de tous les mélomanes, fait son retour à l’Opéra National de Grèce qui lui rend hommage en programmant Medea de Cherubini. Anna Pirozzi et David McVicar ont-ils réussi à percer le mythe et à raviver la légende ? Compte-rendu…

GNO Medea © Andreas Simopoulos

La Grèce est une terre de mythes et de légendes où la tragédie est née. Maria Callas, la plus grande artiste lyrique de l’époque moderne, s’est épanouie à Athènes avec dans le sang le souvenir bouillonnant des héroïnes antiques comme Médée. Pour marquer le centenaire de la naissance de la Diva, l’Opéra National de Grèce a naturellement choisi la Medea de Cherubini, un rôle marquant qui a accompagné sa carrière jusqu’à la fin (les cinéphiles se souviennent du film de Pier Paolo Pasolini). Le 25 avril 2023, la salle Stávros Niárchos flambant neuve a accueilli la production de David McVicar créée en début de saison à New York, la ville où est née Maria Callas. Pour incarner la sulfureuse infanticide, Anna Pirozzi est la nouvelle soprano à revêtir les habits sombres qui entretiennent encore une légende bien vivace.

« Casta Diva », « Nothing Compares 2 U » !

GNO Medea (Anna Pirozzi) © Andreas Simopoulos

En proposant ce rôle écrasant dans le cadre des festivités Callas 2023, l’Opéra National de Grèce aurait pu offrir un cadeau empoisonné à la splendide soprano italienne. Anna Pirozzi est actuellement l’une des seules grandes voix capables de rendre la complexité d’une tessiture difficile à dompter mais pourtant rien n’est comparable au génie de Callas. Le Metropolitan Opera de New York a attendu Sondra Radvanovsky pour afficher Medea qui vient seulement de faire son entrée au répertoire de la grande institution américaine avec cette production. A Athènes, Anna Pirozzi crée sa Médée débarrassée de l’ombre intimidante de son ainée avec les grands moyens qui sont les siens et qu’elle utilise à bon escient. Les imprécations sont vociférées comme le demande la partition et même si quelques sauts d’octave peuvent déstabiliser l’assise de la voix (notamment dans le duo de l’Acte I), la soprano sait saisir le moment pour faire de l’effet avec des aigus forte toujours impressionnants. David McVicar qui respecte l’imagerie de Médée mi-magicienne mi-humaine bafouée, dans une robe noire rappelant celle de Callas (lorsqu’elle chanta le rôle au Théâtre antique d’Epidaure en 1961), offre une gestuelle dramatique et permet à l’actrice d’incarner son personnage. Dans l’opéra de Cherubini, tout tourne autour du rôle-titre qui apparait seulement au bout d’une trentaine de minutes, juste le temps de distribuer un air à la rivale Glauce et à l’amant infidèle. Souvent sollicité dans le grave, le ténor Giorgio Berrugi est un solide Giasone qui domine avec évidence une tessiture exigeante. Vassiliki Karayanni lui donne la réplique avec l’aplomb de son soprano particulièrement placé.

David McVicar défend les exclus et venge Médée

GNO Medea © Andreas Simopoulos

Avec Yanni Yannissis, honorable dans le rôle de Creonte, le reste de la bonne distribution faisait appel à des artistes issus de la troupe de l’Opéra National de Grèce ou à d’autres talents grecs comme Nefeli Kotseli. La mezzo est une belle révélation dans le rôle de la suivante Neris qu’elle abordait pour la première fois comme sa maîtresse Medea/Pirozzi. Artisan de la réussite du spectacle, le chef Philippe Auguin que l’on a plaisir à retrouver à la tête de l’Orchestre de l'Opéra National de Grèce (impeccable comme les chœurs), sait naviguer entre post-baroque et préromantisme dans cette œuvre à la charnière de plusieurs esthétiques. L’Opéra-comique créé en français avec ses récitatifs parlés est passé à la postérité dans sa version italienne entièrement chantée grâce à la Callas qui l’a exhumée. Comme le ferait un chef baroque, les attaques d’Auguin sont franches sans jamais que sa direction ne sacrifie le grand lyrisme d’une partition tourmentée. Medea exige une interprète hors-norme mais sans metteur en scène, point de drame. David McVicar a trouvé l’inspiration juste en signant un spectacle simple en apparence mais d’une parfaite intelligence. Deux lourdes portes constituent le décor principal qui s’ouvre sur un immense miroir incliné occupant le cadre de l’arrière-scène. Les éléments au sol comme la longue traîne de la mariée ou sa robe empoisonnée sont ainsi visibles grâce à ce dispositif. Les riches costumes XVIIIème de Doey Lüthi contrastent avec la robe et le voile noir de Médée, recluse et outragée qui complète la galerie des laissés-pour-compte de McVicar. Son héroïne subit la violence physique finement représentée sur scène comme celle, suggérée, d’une société patriarcale qui exclut les femmes fortes. La vengeance terrible avec l’infanticide laisse une image d’autant plus marquante qu’elle offre une catharsis libératrice. Il fallait que ce spectacle soit vu à Athènes. L’Opéra National de Grèce ne pouvait rendre meilleur hommage à son patrimoine et à Maria Callas, ses trésors nationaux.