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Jonathan Fournel, pianiste du futur à la Philharmonie de Paris

La Philharmonie de Paris est un paradis pour les mélomanes ravis d’y entendre du grand son et surtout d’y découvrir un jeune artiste dont on parle déjà beaucoup. Jonathan Fournel a-t-il convaincu dans le chef-d’œuvre de Brahms ? Compte-rendu…

22.23 Ivresse et volupte © ONDIF

Certains mystères rendent le mélomane perplexe. Alors que partout ailleurs, l’on célèbre les jeunes pianistes auréolés, en France certains bénéficient d’une couverture médiatique plus importante que d’autres. Le plus injuste étant qu’à talent égal, les grands orchestres préfèreront souvent l’herbe du voisin, réputée plus verte. Le cas de l’excellent pianiste Jonathan Fournel est assez représentatif car voici un jeune artiste incroyable beaucoup trop rare à l’affiche. Le concert qu’il vient de donner à la Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, ce 19 avril 2023, en compagnie de l’Orchestre national d’Île-de-France sous la direction de Lio Kuokman, a confirmé tout le bien que les critiques pensent déjà de lui car ils sont nombreux à suivre son parcours de près. Le vertigineux Concerto pour piano No. 2 de Brahms est l’œuvre parfaite pour faire connaissance avec le pianiste du futur.

Démonstrations de valses à la Strauss et à la Ravel

22.23 Ivresse et volupte – Lio Kuokman © ONDIF

La deuxième partie du concert dirigé par le chef macanais Lio Kuokman comprenait la suite pour orchestre du Rosenkavalier de Richard Strauss et la célèbre Valse de Maurice Ravel. Avec les suites d’opéra, deux choix interprétatifs s’offrent le plus souvent aux chefs, le tout orchestral ou le tout lyrique. Les plus exceptionnels réussissent l’entre-deux mais l’équilibre y est toujours très ténu. Lio Kuokman a préféré les rugissements et quelques décibels pour mettre en avant son orchestre d’un soir, oubliant de faire chanter les musiciens de l’Orchestre national d’Île-de-France. Le mélisme straussien souvent envoûtant passe alors au second plan pour privilégier les effets symphoniques plus spectaculaires. Tous les instrumentistes répondent aux élans et à la fougue de Lio Kuokman mais il n’est pas faire injure à leur talent que de remarquer que les sonorités n’égalent pas les grandes phalanges spécialistes qu’elles soient allemandes ou autrichiennes. Les cordes sonnent parfois un peu rêche alors que, dans les parties solo, tous vibrent avec une grande élégance comme l’admirable premier violon Ann-Estelle Médouze. Même si la direction de Lio Kuokman ne manque pas de nuances, une certaine raideur rend parfois la structure des pièces apparentes. La Valse de Ravel, très souvent entendue est maîtrisée mais n’évite pas toujours un côté fanfare qui peut déplaire. Le tempo de la Valse fluctuant comme il se doit dans la première partie de l’œuvre est bien vite bousculé pour provoquer les explosions qu’on aimerait plus complexes et variées.

Jonathan Fournel, le pianiste de Brahms

Jonathan Fournel © JULIEN FORMONT

Le romantisme de Brahms sied sans doute mieux à la baguette de Lio Kuokman même si le tempo des deux premiers mouvements peut étonner. L’enchainement au troisième apporte sans doute la réponse. A à peine 30 ans, Jonathan Fournel domine avec facilité une partition plus complexe qu’il n’y paraît. L’artiste, familier de l’œuvre, aborde le deuxième concerto avec une grande maturité comme dans le premier mouvement où déjà, sa maîtrise technique lui permet à la fois une ampleur et de la mesure. Le sens du rythme partagé avec Lio Kuokman (également pianiste) permet un dialogue soutenu même si le chef couvre parfois son soliste. Fournel avance dans l’Allegro non troppo avec une folie larvée comme si l’artiste emmenait Brahms sur les pentes des rives rhénanes, prêts tous deux à basculer dans le vide. Dans l’Allegro appassionato, ses nuances assez fascinantes traduisent non pas la mélancolie mais une détresse contenue. Le deuxième mouvement surprend par sa précipitation avec une passion qui sonne plus fougue qu’emportement romantique mais l’on comprend que les artistes nous préparent à l’Andante. La tension qui comprimait le mouvement précédent se relâche pour sublimer un piano en extase. L’entrée délicate laisse place à l’abandon, à la suspension même du son qui s’efface dans des notes éthérées. Le moment est d’une incroyable douceur où l’artiste s’affirme pourtant sereinement. Le dernier mouvement sautillant semble être pris avec le tempo adéquat pour offrir les moments de virtuosité au pianiste toujours très élégant. En passant à côté d’un magnifique interprète, il serait bien dommage que la France n’offre pas à Jonathan Fournel la belle carrière qu’il mérite.