Nadine Sierra et Pretty Yende font leur show à la Philharmonie de Paris
Les récitals avec deux sopranos à l’affiche sont assez rares surtout s’agissant de grandes stars comme Nadine Sierra et Pretty Yende. La Philharmonie de Paris et la parfaite série des « Grandes voix » ont réuni les deux divas pour le meilleur et… Compte-rendu !
« Les artistes n’interpréteront pas le duo des Nozze di Figaro ni celui des Contes d’Hoffmann ». L’affichette de la Philharmonie de Paris aurait pu inquiéter les spectateurs venus très nombreux dans la Grande Salle Pierre Boulez, lundi 6 mars 2023, pour entendre deux stars de l’art lyrique, Nadine Sierra et Pretty Yende dans le cadre de la série des « Grandes voix ». Toutes les craintes ont été levées à la découverte du programme de salle, très généreux, annonçant plutôt la grande soirée attendue. Les récitals en duo sont rares et les mélomanes ont tous en mémoire Elisabeth Schwarzkopf et Victoria de los Ángeles, Jessye Norman et Kathleen Battle ou même Montserrat Caballé et Freddie Mercury. Ces illustres prédécesseurs ont posé quelques bases, la frontière entre art classique et grand spectacle traçant parfois une ligne sur laquelle les artistes évoluent en funambule.
Les Frivolités donnent du sérieux aux divas
La grande complicité affichée de Nadine Sierra et Pretty Yende ferait presque oublier les heures de travail et même jusqu’à la représentation elle-même où les spectateurs sont plutôt invités à partager un moment d’intimité décontracté avec de très belles artistes en superbes robes de soirée. Délicate attention, le programme n’indique pas de nom devant les morceaux choisis laissant ainsi deviner qui va chanter quoi. Les sopranos américaines possèdent la même tessiture, partagent le même professeur de chant et quelques rôles qu’elles ont interprété partout dans le monde et notamment à l’Opéra national de Paris. Même si l’on devine certaines combinaisons, il y a de la surprise dans l’air comme pour le choix de l’orchestre. Alors qu’elles nous avaient habitués à un répertoire léger, Les Frivolités Parisiennes se plient de bonne grâce et avec talent à l’exercice du récital, en enjambant allègrement répertoires et styles. Les interludes musicaux sortent de l’ordinaire avec la Sevillana de Massenet, le Pas de six de Guillaume Tell de Rossini (et non pas l’ouverture autrement plus rabâchée). Il est même heureux de voir une ouverture de Félicien David débuter le concert, le compositeur réhabilité par les équipes du Palazzetto Bru Zane le mérite bien ! A la direction musicale, Giacomo Sagripanti possède le métier nécessaire pour offrir le tapis sonore bientôt foulé par les divas en souliers Louboutin. Nadine Sierra ouvre la partie belcantiste avec la Norina minaudante du Don Pasquale. Pretty Yende la suit pour faire le pendant des suraigus avec La Fille du Régiment du même Donizetti. Les plus pointus remarquent ici ou là quelques notes placées un peu haut chez la première et espèrent que la voix de la deuxième se chauffera vite mais tous s’accordent à reconnaître que le charme opère.
Qui de Yende ou Sierra est la plus Pretty ?
Le premier duo (extrait d'Elisabetta, Regina d'Inghilterra de Rossini) ouvre le jeu des comparaisons, plus de puissance chez l’une, de graves sonores chez l’autre, avec de belles émotions qui passent. Très à l’écoute l’une de l’autre, les deux artistes offriront le meilleur d’elles-mêmes dans les duos. La parfaite acoustique de la Philharmonie de Paris ne pardonne pas les quelques pianos de Pretty Yende qui se délitent par manque d’assise, la chanteuse ne semblant pas au mieux de sa forme. Même si les sons produits restent très beaux, les quelques accrocs empêchent d’apprécier pleinement son Amina de La Sonnambula. En pleine santé et déployant les grands moyens vocaux, Nadine Sierra récolte la première salve d’applaudissements fournis après un « Sempre libera » de Traviata très décomplexé. Le jour anniversaire de la création du chef-d’œuvre de Verdi, il peut paraître assez incongru d’entendre une soprano se servir de l’œuvre pour faire étalage de sa voix rayonnante sans vraiment respecter ce qui est écrit. Dans un récital de diva, tout est permis et même quelques entorses amusantes comme lorsqu’en coulisse les phrases d’Alfredo sont chantées par Pretty Yende/Alfreda. Il ne faut pas chercher de véracité musicologique non plus dans le duo de Norma où la voix plus claire incarne la prêtresse gauloise. Il est temps de passer à la deuxième partie du concert dédiée au répertoire franco-américain avec le duo des fleurs de Lakmé à la prosodie perfectible. L’on ne comprend pas non plus les paroles de Juliette dans la valse écrite par Gounod où Mademoiselle Sierra tape du pied pour mieux marquer son aigu final, poussé à plein volume les bras grands écartés, comme au spectacle. L’air d’Olympia (extrait des Contes d'Hoffmann d’Offenbach) accuse quelques faussetés mais permet au chef et aux deux sopranos de se livrer à un jeu de scène qui emballe le chaland. Les rires fusent à nouveau dans les airs peu connus de Leonard Bernstein et Victor Herbert jusqu’à « I feel pretty » (West Side Story) où Pretty Yende lance à son public enthousiaste : « I am Pretty » ! Le récital s’efface alors au profit d’un show magnifiquement huilé. En bis, « La vie en rose » fait se lever l’auditoire ravi et même ému aux larmes d’entendre en second bis, un pot-pourri de grands standards américains (« As time goes by », « Moon River », Edelweiss » , « The way we were », « Somewhere Over the Rainbow ») à l’orchestration pourtant indigeste. Le spectacle restera mémorable pour la plupart mais trop entaché d’imperfections, il ne peut hélas ! entrer dans la légende des grands duos.