Celia Oneto Bensaid et Marie Jaëll, pianistes en fusion !
Plongée en enfer pour la jeune pianiste Celia Oneto Bensaid qui exhume des pièces de Marie Jaëll, Salle Cortot à Paris. Après une visite du purgatoire, le mélomane se retrouve au paradis qu’il pense pourtant n’avoir jamais quitté ! Explications…
Au concert, il n’est pas rare de découvrir de jeunes artistes et de voir leur talent s’épanouir. Il est également assez fréquent de redécouvrir des compositeurs oubliés et, par chance, de plus en plus de compositrices réhabilitées. Cependant, les rencontres fusionnelles restent exceptionnelles. Dans le cadre des concerts Pro Musicis, Celia Oneto Bensaid vient de donner ce lundi 13 février 2023, un récital autour des pièces de Marie Jaëll. Après un CD accueilli avec les éloges, la jeune pianiste de 30 ans confirme ses affinités avec un répertoire qu’elle incarne. Dans l’écrin de la salle Cortot à Paris, elle a composé un programme exigeant et pourtant enthousiasmant qui a séduit à la fois les mélomanes et les plus néophytes des spectateurs.
Aie Confiance… quand la pianiste nous emmène en enfer
La gageure n’est pas toujours simple à relever. Comment composer un programme de récital pour satisfaire le plus grand nombre ? Celia Oneto Bensaid semble avoir la solution, en accordant tout simplement sa confiance aux compositeurs et leurs œuvres pour susciter intérêt et fortes émotions. Marie Jaëll n’est plus tout à fait une inconnue depuis que les bonnes fées du Palazzetto Bru Zane et de Présence Compositrices se sont penchées sur son sort. Grâce à leur travail de recherche, elles ont exhumé des partitions bien trop longtemps ignorées. La compositrice, élève de Saint-Saëns et amie de Liszt, s’est inspirée de l’Inferno de Dante pour écrire un cycle de dix-huit pièces dont les deux tiers seront jouées ce soir, enchâssées dans d’autres morceaux signés Liszt et Schubert. Et d’ailleurs, « Un sospiro » de Liszt ouvre le concert comme un prélude à un moment qui s’annonce intense. Avec sa montée en puissance, ce « il était une fois » musical permet également à l’artiste d’ouvrir un récit pour raconter Mme Jaëll. Avec décontraction et quelques pointes d’humour, Celia Oneto Bensaid accompagne son récital de repères historiques et d’anecdotes comme autant de passionnants moments de partage. Les quatre extraits de « Ce que l’on entend dans l’Enfer » ainsi présentés, la plongée dans l’univers de Jaëll n’en est que plus époustouflante. La « Poursuite » haletante suivie d’un « Appel » construit sur les silences assez inquiétants saisissent tandis que « Dans les flammes » imagé et surtout « Blasphème », qui n’est pas sans rappeler le Scarbo de Ravel pourtant composé 15 ans plus tard, déploie une écriture virtuose que Celia Oneto Bensaid maîtrise sans aucune difficulté.
Peut-on s’ennuyer au paradis ?
L’apparente facilité du jeu est l’apanage des grands. Dans les pièces plus souvent visitées, la pianiste surprend encore comme avec les deux Lieder de Schubert transcrits par Liszt. Accompagnatrice duettiste de Marie-Laure Garnier, la musicienne fait chanter son piano comme son amie soprano dans un superbe « Ständchen », simple, suspendu, absolument merveilleux ! Plus rarement donnée, la troisième Mephisto Waltz de Liszt est interprétée sans esbrouffe avec une maîtrise qui nous amène au purgatoire imaginé par Marie Jaëll (à qui cette valse est dédiée). Tout aussi fortes, les cinq pièces sont jouées brillamment et avec ferveur. L’on reste fasciné par l’artiste qui, avec un sens poussé du récit, développe des images jusqu’à l’hypotypose. Le voyage de Dante s’achevant au Paradis, Marie Jaëll et Celia Oneto Bensaid nous y emmènent dans une ambiance forcément séraphique et éthérée jusqu’à un aimable ennui ! A croire qu’après plus d’une heure et demie de romantisme virtuose, l’épure et le recueillement ne permettent qu’une descente en douceur moins intéressante, même si « Contemplation » touche sa cible. Il est rare de voir une artiste faire corps avec une œuvre (jouée d’ailleurs sans partition). Il est d’autant plus rare de tenir un public durant deux heures de récital de pièces peu connues jusqu’au bis. La magnifique Metamorphosis Two de Philip Glass a tenu en haleine les spectateurs peu habitués à la musique contemporaine. Grand moment qui conclut un grand récital. Bravo Celia Oneto Bensaid et merci pour tout !