Benjamin Bernheim un Hoffmann d’anthologie pour Bastille
Le mélomane avisé retourne voir toujours avec plaisir une production qu’il a aimé mais s’agissant des Contes d’Hoffmann, le chef-d’œuvre d’Offenbach, il a forcément de grandes attentes. La distribution de l’Opéra Bastille répond-elle aux exigences ? Réponse…
Il est des productions iconiques qui, reprise après reprise, ne perdent jamais en intensité. L’Opéra national de Paris a eu, par exemple, le fameux Faust de Jorge Lavelli vu plus de treize fois à l’affiche. Les Contes d’Hoffmann dans la mise en scène de Robert Carsen suit le même chemin avec, à ce jour, sept reprises depuis la création du spectacle en 2000. Ce mercredi 6 décembre 2023, les spectateurs ont assisté à sa soixante-seizième représentation sans pour autant déceler la moindre ride sur le front d’Hoffmann. Avec Benjamin Bernheim dans le rôle-titre, l’Opéra Bastille a accueilli une distribution renouvelée et même quasi inédite avec d’autres grands noms de la scène lyrique actuelle qui ont connu des succès divers. Pour autant, les atouts étaient nombreux, à commencer par la mise en scène.
Qui n’a jamais vu Hoffmann n’est pas Opéra de parisien !
Lorsque les spectateurs de mars 2020 ont découvert la nouvelle production de Robert Carsen, le metteur en scène canadien n’en était pas à son premier coup d’éclat. Un Nabucco inoubliable ou une Alcina d’anthologie avait précédé ces Contes d’Hoffmann qui pourtant ont marqué plus encore. Pour la première fois, la grande machinerie du vaisseau Bastille était utilisée avec l’immense plateau mis à nu pour l’apparition de la muse. Le trublion Carsen se jouait des codes du théâtre pour présenter chaque scène, chaque conte dans l’un des espaces d’un opéra que l’on devine être le Palas Garnier. La partition d’Offenbach que les interprètes s’échangent sur scène est le fil rouge d’un spectacle qui se lit à plusieurs niveaux. L’histoire compliquée de la création du seul opéra d’Offenbach est évoquée dans un théâtre dans le théâtre qui ne gêne en rien la lisibilité du propos. Il est heureux de retrouver cette production toujours impressionnante car elle a gardé sa fraîcheur et sa modernité. Un large éventail d’émotions se déploie avec, cerise sur le gâteau, une dose d’humour savamment amenée. Olympia transformée en poupée nymphomane avait permis à. Natalie Dessay de remporter en son temps l’un de ses plus grands succès. Aujourd’hui, c’est l’Hoffman de Benjamin Bernheim qui recueille tous les suffrages. Le ténor français survole une distribution internationale grâce à un français exemplaire. Chaque mot est intelligemment pesé et chaque note, magnifiquement chantée. Les superlatifs s’enchainent après un air de Kleinzach comme rarement entendu, un acte d’Antonia déchirant où la voix se fait douce et suave, ou dans un acte final assez bouleversant. Tout juste manque-t-il au ténor une dose de noirceur dans le jeu mais son interprétation restera comme un modèle.
Il était une fois à la cour internationale d'Eisenach
Autre artisan du succès de la soirée, la direction musicale d’Eun Sun Kim est elle aussi irréprochable. La jeune cheffe coréenne a compris l’esprit d’une œuvre aux multiples contrastes. Dramatique lorsqu’il le faut, elle garde toujours une légèreté qui porte peut-être plus encore l’émotion. Les mélomanes amoureux des Contes d’Hoffman savent bien qu’il est extrêmement difficile de réunir une distribution sans faille. L’Opéra national de Paris occupant une place internationale, il n’est pas étonnant d’y entendre les grandes stars du chant lyrique comme celles réunies ici. Même si elle ne possède pas exactement les moyens du rôle d’Olympia, la superbe Pretty Yende se livre de bonne grâce aux exentricités de la poupée de Carsen avec des aigus manquant de précision. La solide voix de Christian Van Horn convient aux quatre méchants (Lindorf, Coppelius, Dapertutto, Miracle) mais il est vraiment dommage de perdre les nuances du texte. Angela Brower dans le double rôle de Nicklausse et de la Muse est la seule vraie déception de la soirée car même si le timbre est agréable, malheureusement, elle n’existe pas dans des ses airs parmi les plus beaux composés par Offenbach. Parmi les nombreux seconds rôles l’on remarque Vincent Le Texier toujours impeccable, Christophe Mortagne, Cyrille Lovighi et Rodrigue Moungoungou mais beaucoup moins Leonardo Cortellazzi (Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz) qui ne fait pas grand-chose de ses parties. La prosodie d’Antoinette Dennefeld (Giulietta) et de Sylvie Brunet-Grupposo (La Voix de la mère) sont un plus qui fait regretter la brièveté de leur présence. Reste une dernière étoile qui a brillé au firmament. Dans un français perfectible mais très compréhensible, la splendide voix de Rachel Willis-Sørensen a résonné dans l’enceinte de Bastille. La soprano a incarné une vibrante Antonia sans doute atypique mais réellement bouleversante avec de grands moyens qu’elle sait alléger. Pour cette vive émotion, pour l’exceptionnel Benjamin Bernheim, pour la direction musicale d’Eun Sun Kim, il faut se précipiter à l’Opéra Bastille pour cette reprise haut de gamme d’une production iconique.